Le Hamas à l'heure du génocide à Gaza. Entretien avec Leïla Seurat
- Ryan Tfaily et Mehdi Belmecheri-Rozental
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Propos recueillis par Ryan Tfaily, étudiant en Etudes Politiques en M2 à l'EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales) et stagiaire au sein de Yaani ; et Mehdi Belmecheri-Rozental, diplômé de l'EHESS et membre de Yaani.
Depuis que le gouvernement israélien a unilatéralement rompu la trêve le 18 mars dernier, la guerre génocidaire qu’il mène contre les Palestiniens de Gaza s’accompagne d’une occupation terrestre progressive de l’enclave dont Benyamin Netanyahou et Donald Trump ne cachent plus l’objectif final : la prise de contrôle du territoire palestinien et l’expulsion de ses habitants. Epuisés et étouffés par la coupure totale de l’aide humanitaire imposée par Israël, certains Palestiniens de Gaza se sont mobilisés en faveur d’un arrêt de la guerre, scandant parfois des slogans contre le Hamas. Parallèlement, les recompositions à l’échelle régionale isolent encore davantage le groupe et les Palestiniens, tandis qu’en Cisjordanie, l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas accentue le contrôle coercitif de l’OLP. Comment, dans ce contexte, se réoriente stratégiquement le Hamas ? Quelle est, de son côté, la stratégie d’Israël dans son objectif d’expansion territoriale à Gaza, et dans la région ? Leïla Seurat, politiste, autrice d’une thèse sur la politique étrangère du Hamas, et chercheuse au Centre arabe de recherches et d’études politiques (CAREP) de Paris, analyse dans cet entretien les restructurations en cours des différents acteurs, dans le contexte de la guerre contre Gaza, de la nouvelle donne régionale et du paysage politique palestinien. Tout en évaluant les forces et les faiblesses d’Israël et du Hamas, elle montre que le mouvement palestinien est devenu, malgré lui, un prétexte utilisé par Israël pour réaliser ses objectifs : le ciblage des civils palestiniens, l’occupation terrestre de Gaza et son nettoyage ethnique, ainsi que, plus largement, un expansionnisme à l’échelle régionale.

Beaucoup de médias ont relayé, depuis un mois, les manifestants de Gaza demandant la fin de la guerre génocidaire et, pour certains d’entre eux, la fin de la gestion de l’enclave par le Hamas. Quelle lecture faites-vous de ces manifestations ?
Il me semble nécessaire de ne pas se contenter d’une interprétation limitée de ces manifestations, et de prendre en compte différents facteurs et niveaux dans l’analyse.
D’abord, il faut rappeler que l’opposition au Hamas à Gaza a toujours existé. Les mouvements comme « Badna kahraba » (« Nous voulons de l’électricité ! ») ou « Badna naich » (« Nous voulons vivre ! ») témoignaient déjà, les années précédentes, d’une colère d’une partie du public palestinien vis-à-vis de la gouvernance du Hamas à Gaza. Il s’agissait essentiellement d’une contestation à dimension économique, liée au blocus israélien sur l’enclave.
Mais pour bien comprendre les manifestations qui ont eu lieu fin mars, il faut les réinscrire dans leur temporalité propre et bien voir qu’elles émergent après 3 semaines de coupure totale de l’aide humanitaire. Depuis le 2 mars, les ONG et organismes humanitaires internationaux ne peuvent quasiment plus accéder au territoire. Le COGAT (en anglais : Coordinator of Government Activities in the Territories - l'organismes d'administration militaire israélien, chargé de la supervision des affaires civiles sur le territoire palestinien occupé) complexifie quotidiennement les procédures dans le but de supprimer leur présence et d’imposer un contrôle israélien total sur l’aide.
Ces manifestations ne sont pas surprenantes, compte tenu de l’ampleur des massacres quotidiens à Gaza, et de l’épuisement de la population. On peut même se demander pourquoi elles n’ont pas surgi plus tôt. Elles arrivent relativement tard après plus de 15 mois de massacres. Réponse directe à l’étouffement total de Gaza par Israël, ces manifestations en disent plus sur Israël que sur le Hamas.
Elles disent également quelque chose de parties extérieures palestiniennes, principalement le Fatah, qui tente d’instrumentaliser la colère bien réelle de la société civile palestinienne. En 2013 déjà, certains membres du Fatah avaient mené une campagne sur les réseaux sociaux appelant à une révolte à Gaza pour limoger le Hamas. On voit aujourd’hui se reproduire les mêmes dynamiques où des militants du Fatah tentent de récupérer l’exaspération des Palestiniens en communicant sur les réseaux sociaux. Le Fatah répond en partie aux pressions extérieures, celles des Américains, des Israéliens et des Égyptiens qui cherchent à évincer le Hamas du pouvoir à Gaza. Soulignons pourtant que le Hamas a fait connaître depuis 2017 son souhait de ne plus s’occuper de la gestion administrative des gazaouis. C’est là où paradoxalement les revendications des manifestants rejoignent celles du Hamas qui depuis 2017 a manifesté son souhait de céder les clés de Gaza à Mahmoud Abbas (même si ce dernier souhaitait un départ total du Hamas à Gaza et sa démilitarisation).

Ces mobilisations populaires sont le reflet d’un désarroi total des Palestiniens face aux massacres quotidiens commis par l’armée israélienne, au blocage de l’aide humanitaire et à l’éloignement de toute perspective de conclusion d’un nouvel accord.
Comment se recompose militairement et stratégiquement Israël depuis qu’il a unilatéralement rompu la trêve le 18 mars dernier ?
L’administration de la guerre a quelque peu changé depuis la rupture de la trêve. Cette dernière, conclue en janvier 2025, a permis à Benyamin Netanyahou de se réorganiser.
D’abord, le premier Ministre israélien a renouvelé son entourage. Il a remplacé Herzi Halevi, son chef d’Etat major démissionnaire, par Eyal Zamir, un officier entièrement acquis aux objectifs du gouvernement israélien que sont l’expulsion des Palestiniens et l’occupation permanente du territoire.
On assiste également à un renouvellement stratégique israélien, dont témoigne le blocus total de l’aide humanitaire. Il s’agit bien de militariser cette aide, d’en faire une arme de guerre à part entière, visant à affamer et épuiser la population civile, et à provoquer son départ.
Sur le terrain, l’armée israélienne a réajusté ses activités. On constate qu’elle se concentre exclusivement sur des bombardements aériens notamment par drones et qu’elle vise systématiquement des tentes de civils et des camps de déplacés. Elle a pour l’instant abandonné toute incursion terrestre, ce qui constitue une vraie différence par rapport à la période précédant la trêve.
Il existe cependant une continuité avec cette période : le dossier des négociations, toujours utilisé par Israël pour poursuivre son agression génocidaire, tout en communiquant sur un prétendu rejet du Hamas des propositions de trêves. Il s’agit d’une stratégie inchangée d’Israël depuis le début de la guerre, Benyamin Netanyahou rejetant tout accord de cessez-le-feu, aussi bien le plan Biden validé par le Conseil de Sécurité que l’accord signé en janvier qui n’a jamais été respecté.
« L’arrêt des combats au sol, notamment, prive le Hamas de sa capacité à être un acteur à l’initiative. Il est devenu durant un temps le témoin passif des massacres contre les Palestiniens. Il devient, de plus en plus, un prétexte utilisé par Israël pour cibler des civils et les contraindre à l’exil. »
Chaque semaine, le conseiller de Donald Trump au Moyen-Orient, Steve Witkoff, continue à émettre des propositions – comportant toutes la restitution de tous les otages israéliens sans qu’elle n’implique la fin de la guerre – puis oriente sa communication politique sur le prétendu rejet du Hamas des accords. Ce véritable simulacre de négociations, appuyé par le soutien diplomatique des Etats-Unis, permet à Israël de poursuivre l’agression sur le terrain tout en gagnant du temps.
Du fait de ces réajustements israéliens, le Hamas est désormais coincé. L’arrêt des combats au sol, notamment, le prive de sa capacité à être un acteur à l’initiative. Il est devenu durant un temps le témoin passif des massacres contre les Palestiniens. Il devient, de plus en plus, un prétexte utilisé par Israël pour cibler des civils et les contraindre à l’exil.
Pourtant, le 20 avril dernier à Beit Hanoun, des combattants palestiniens ont tendu une embuscade à des soldats israéliens, tuant l’un d’entre eux et blessant plusieurs autres. Que sait-on des capacités militaires des brigades Al-Qassam et des autres groupes armés palestiniens ?
En effet, ce jour-là, les brigades Al-Qassam sont sorties d’un tunnel, ont tiré un missile antichar sur un véhicule militaire israélien. Lorsque les unités de renfort sont arrivées sur le terrain, les combattants palestiniens ont tiré un nouvel engin explosif, tuant un militaire israélien. Cette embuscade est importante, mais elle ne permet pas de dire que le Hamas a repris l’ascendant.
Ce qu’il faut noter, c’est bien le lieu où cette embuscade a été réalisée : à Beit Hanoun, là où l’armée israélienne avait débuté son déploiement en octobre 2023. Pour le Hamas, le lieu détient une symbolique particulière : à l’endroit où les militaires israéliens étaient entrés lors de leur invasion terrestre, le Hamas parvient toujours à leur infliger des pertes.
Aussi, l’attaque s’est déroulée sur ce qui a été désigné par l’armée israélienne comme une « buffer zone » (« zone tampon »), censée être sous contrôle. Vraisemblablement, il existe toujours des tunnels qui n’ont pas été détectés dans cette zone sous-contrôle. Cette embuscade nous informe donc sur le fait que l’infrastructure des tunnels semble toujours fonctionnelle mais aussi que le Hamas conserve une certaine capacité de nuisance et ce malgré les bombardements intensifs.
Il demeure difficile, cependant, d’estimer les capacités militaires des brigades al-Qassam. Les seules sources à notre disposition sont israéliennes, relayées par des médias américains. Or, ces données ne sont pas fiables, d’abord parce qu’elles reflètent des enjeux de pouvoir au sein de l’échiquier politique israélien. Ensuite, parce qu’en prétendant sans arrêt que le Hamas s’est recomposé, restructuré et réarmé, elles permettent de donner une caution au nettoyage ethnique des Palestiniens.
Concernant ses capacités balistiques, on a vu que le Hamas avait tiré le 21 mars dernier, plusieurs roquettes vers Ashkelon et Ashdod. Mais ces tirs ont été effectués depuis Deir el Balah, au centre de Gaza, jusqu’ici épargné par les bombardements israéliens depuis la reprise de la guerre.
Une chose est sûre en revanche : les brigades Al-Qassam ne rencontrent aucune difficulté à renouveler leur capacité humaine. Même si la plupart des chefs du Hamas ont été tués – dont le dernier en date, Osama Tabash, était le chef du renseignement du mouvement et un proche de Yahia Sinwar – l’aile militaire du Hamas ne manque pas d’hommes. Ce renouvellement en hommes s’explique historiquement par l’implantation locale des brigades Al-Qassam dans le tissu social palestinien et le soutien populaire dont elles bénéficient.
En miroir, on voit bien que les forces et les faiblesses du Hamas et d’Israël sont précisément inversées. Israël détient le plus haut niveau d’armement, de technologie, d’armes automatisées, mais fait face à un discrédit interne de son armée et d’une montée de la contestation de ses réservistes.
Depuis la rupture du cessez-le-feu, l’armée israélienne a réoccupé environ 60% de la bande de Gaza. Comment se déploie cette occupation et quel est l’objectif d’Israël à plus long terme ?
Beaucoup de commentaires et d’analyses avaient considéré, au moment de la signature du cessez-le-feu de janvier, qu’Israël avait renoncé à son projet d’occupation terrestre de Gaza et à ses objectifs territoriaux (NDLR : selon le droit international, Gaza était déjà considéré comme un territoire occupé, même après le retrait israélien de 2005. Il s'agit maintenant d'une prise de contrôle terrestre). Ces objectifs sont pourtant aujourd’hui en cours d’exécution.
L’occupation terrestre se déploie par différents dispositifs, à commencer par la militarisation de l’aide humanitaire. L’assiègement du territoire et l’impossibilité faite aux ONG d’entrer à Gaza sont censés ouvrir la voie à une distribution de l’aide par des centres logistiques militaires sous contrôle israélien. On voit bien comment la problématique de l’aide devient un moyen pour Israël de se redéployer et réoccuper le territoire.

Sur le terrain, on voit d’abord une extension des « zones-tampon ». Le long de la barrière qui emmure Gaza, la « zone-tampon » a été élargie d’au moins 25% jusqu’au centre. L’armée israélienne a aussi réoccupé le corridor « Netzarim » qui sépare Gaza city au Nord du reste de la bande de Gaza. Parallèlement à « Netzarim » et « Philadelphie » un troisième axe de division a été récemment créé, le corridor « Morag », qui sépare la ville de Rafah de la région de Khan Younès. La ville de Rafah, justement, est censée devenir toute entière une « zone-tampon », alors même qu’environ 200 000 habitants y résident encore. A ce morcellement du territoire, s’ajoutent les ordres d’évacuation donnés par l’armée israélienne dans toutes les localités.
« Les Palestiniens de Gaza sont d’ailleurs déjà, en quelque sorte, expulsés, puisqu’ils sont dans une errance perpétuelle depuis 19 mois. Ils ont été chassés plusieurs fois de chez eux, quand leur lieu d’habitation n’a pas été totalement détruit. »
L’occupation terrestre n’est pas seulement un objectif à venir, mais bien un plan en cours d’exécution. Pour le comprendre, il faut bien entendu l’inscrire dans la longue histoire coloniale d’Israël, et dans la Nakba de 1948. La population de Gaza, rappelons-le, est majoritairement issue de réfugiés de 1948. Dans les années 60, il existait déjà des plans invitant les Palestiniens de Gaza à un « départ volontaire » vers la Jordanie – une terminologie similaire à celle qu’emploient aujourd’hui les autorités israéliennes.
L’étude de l’histoire politique d’Israël montre bien qu’en fonction des périodes, les projets concernant les Palestiniens varient, entre déplacements forcés, séparations, mise sous tutelle, blocus. Aujourd’hui, c’est bel et bien le projet d’expulsion qui est privilégié. Les Palestiniens de Gaza sont d’ailleurs déjà, en quelque sorte, expulsés, puisqu’ils sont dans une errance perpétuelle depuis 19 mois. Ils ont été chassés plusieurs fois de chez eux, quand leur lieu d’habitation n’a pas été totalement détruit.
L’objectif, derrière les manœuvres de l’armée israélienne sur le terrain, est de contenir les Palestiniens dans un seul espace, puis de les contraindre à un « départ volontaire », une expression pour euphémiser le nettoyage ethnique. L’autre but est d’affaiblir le Hamas en séparant les bataillons les uns des autres, même si, à mon avis, le Hamas reste pour l’instant utile, dans une certaine mesure, au gouvernement israélien, puisqu’il lui permet de justifier la poursuite de la guerre, mais aussi les projets d’annexion de la Cisjordanie, et d’occupation du sud du Liban et de la Syrie.
En l’absence d’une pression internationale qui vise à faire échouer les plans israéliens, quels éléments pourraient mettre en difficulté le cabinet de guerre de Benyamin Netanyahou ?
Le cabinet de guerre israélien est mis en difficulté par différents facteurs. Le premier est la contestation interne à Israël, émanant notamment de réservistes, de pilotes et d’officiers à la retraite. Ces derniers ont signé différentes pétitions demandant à Netanyahou de conclure un accord immédiat pour l’arrêt de la guerre et le retrait de l’armée israélienne de Gaza, en échange de la libération des otages, et notamment des 24 Israéliens captifs et encore vivant retenus à Gaza.
« Cette guerre a, en effet, largement discrédité Israël : elle a exposé le caractère génocidaire des massacres commis par son armée, ses visées expansionnistes, ses projets d’occupation, et la complicité active des puissances occidentales ainsi que des pays arabes dans le massacre. »
Or, la position du Hamas dans les négociations est sensiblement la même : la restitution de tous les otages contre un cessez-le-feu définitif et un retrait israélien de Gaza – alors que ses demandes s’articulaient auparavant autour du « tous contre tous ». D’une certaine manière, les revendications du Hamas ont fusionnées avec celles de l’opposition politique en Israël, ce qui peut contribuer à mettre en difficulté Benyamin Netanyahou.
L’autre facteur qui peut déstabiliser Israël réside dans la guerre d’usure. Ce qui est en jeu pour le Hamas, c’est la disqualification d’Israël. Cette guerre a, en effet, largement discrédité Israël : elle a exposé le caractère génocidaire des massacres commis par son armée, ses visées expansionnistes, ses projets d’occupation, et la complicité active des puissances occidentales ainsi que des pays arabes dans le massacre. Au siège des civils à Gaza, répond le siège moral qui étouffe Israël.
Les Etats-Unis et Israël exigent désormais, dans les négociations, le désarmement du Hamas. Même s’il s’agit essentiellement d’un prétexte pour poursuivre la guerre, peut-on imaginer que le Hamas accepte de désarmer et de quitter Gaza, similairement au départ de l’OLP du Liban en 1982 ? Existe-t-il des fractures internes au sein du mouvement sur cette question ?
Concernant les fractures internes au sein du mouvement, il est difficile de répondre à cette question, car le Hamas ne laisse pas apparaître publiquement ses divergences, sauf exception, comme lors des Printemps arabes, en 2011.
Récemment, une divergence entre les cadres a été exposée. Au moment de la trêve, Moussa Abou Marzouk, le chef des relations étrangères du Hamas, a donné une interview au New York Times, déclarant d’une part que s’il avait anticipé ce qui allait se produire à Gaza après le 7 octobre, il n’aurait pas soutenu cette attaque, et d’autre part que la question des armes du Hamas dans la bande de Gaza était ouverte. Evidemment, cette interview donnée au New York Times peut être considérée comme un appel du pied pour discuter avec les Etats-Unis.
Cette déclaration s’inscrit en faux par rapport à la ligne officielle du Hamas, qui reste sur l’idée que le 7 octobre est une victoire, et que les armes de la résistance à Gaza sont une ligne rouge, comme l’a récemment rappelé Oussama Hamdan, le représentant du Hamas au Liban. Elle a été d’ailleurs contredite par l’un des porte-parole du Hamas, Hazem Qassem, peu connu du grand public, qui a affirmé que ces propos ne représentaient pas le mouvement.
Moussa Abou Marzouk reste pourtant une figure centrale et historique du Hamas, qui a dirigé le bureau politique dans les années 1990. Il est toujours le numéro 2 du pôle extérieur du Hamas basé au Qatar et dirigé par Khaled Mechaal. Ainsi, malgré les tentatives du porte-parole du Hamas, Hazem Qassem, de discréditer le propos, il est évident que la parole de Moussa Abou Marzouk ne peut être si facilement marginalisée.
Ces propos illustrent-ils différents points de vue ou de réelles divisions au sein du mouvement ?
Khaled Mechaal et Moussa Abou Marzouk qui avaient quitté la Syrie en 2011 au moment du soulèvement du peuple syrien contre Bachar Al-Assad, et s’étaient éloignés du giron de leur soutien iranien, représentent une tendance au sein du Hamas plus proche de la Turquie, du Qatar et des Frères Musulmans. Mais il faut bien voir que ces différentes tendances, entre un courant proche des Frères musulmans et un autre partisan de l’alliance avec l’Iran, constituent aussi une force car le Hamas est toujours parvenu à concilier ces différentes tendances sans nécessairement se fracturer, en intégrant des courants dans la région qui sont pourtant en conflit.
Il existe bien-sûr des divisions au sein du Hamas, mais elles sont complexes et ne se réduisent absolument pas à l’opposition qui est souvent établie entre une branche gazaouie, qui serait radicale, et le leadership extérieur, qui serait modéré. Ces divisions doivent se lire au regard des trajectoires sociologiques et biographiques de leurs membres ainsi que des intérêts et les enjeux de pouvoir au sein du Hamas. Elles reflètent également une dispersion géographique des cadres du mouvement, et des ancrages territoriaux différenciés. Loin d’être figées, elles évoluent en permanence : reste donc à comprendre comment la césure du 7 octobre a généré de nouvelles dissensions, et comment elles recomposeront le Hamas à l’avenir.
« Toutes les factions palestiniennes, et pas seulement le Hamas, s’accordent sur un consensus : les armes de la résistance constituent une ligne rouge. »
Concernant la démilitarisation, il me semble difficilement imaginable que le Hamas puisse déposer les armes. Cette décision appartient d’abord au leadership de Gaza qui, depuis plusieurs années, a pris l’ascendant sur le leadership extérieur dans le processus décisionnaire. Khalil Al-Hayya, président du leadership gazaoui mais résidant depuis début 2023 au Qatar, a récemment affirmé que la seule manière de penser le désarmement serait d’envisager une transformation des brigades al-Qassam en une future armée palestinienne. Un objectif pour l’instant totalement chimérique.
Pour le Hamas, la démilitarisation est synonyme de capitulation. Toutes les factions palestiniennes, et pas seulement le Hamas, s’accordent sur un consensus : les armes de la résistance constituent une ligne rouge.
Par ailleurs, les Gazaouis eux-mêmes restent attachés à leur résistance armée. Même s’ils ne défendent pas le Hamas pour des raisons partisanes, ni en tant qu’organisation politique, ils sont attachés à leur terre, et considèrent que le Hamas incarne la résistance contre l’occupation.
Le Hamas doit également faire face à un nouveau contexte régional, à commencer par l’arrivée d’un nouveau gouvernement en Syrie, après la chute de Bachar Al-Assad. La Jordanie, quant à elle, a interdit le mercredi 23 avril les Frères Musulmans. Quelle relation entretient le Hamas à ces deux pouvoirs ?
Le changement de régime en Syrie est un coup dur pour le Hamas. Certes, le Hamas avait quitté la Syrie lors du soulèvement de 2011, en opposition à Bachar Al-Assad, mais depuis 2017, le mouvement palestinien tentait de se réconcilier avec le pouvoir syrien. Ce processus était en bonne voie depuis la visite de Khalil al-Hayya en Syrie en 2022, aidée par l’Iran. Même si le front syrien n’était pas particulièrement actif, et même si Bachar Al-Assad n’était pas connu pour son soutien aux Palestiniens, il s’agissait tout-de-même d’un pays membre de l’axe de la résistance, qui permettait le transfert des armes, un soutien matériel et diplomatique.
Alors qu’une partie de la Syrie est occupée par Israël, l’avenir du pays et la levée des sanctions imposées par l’Union européenne et les Etats-Unis dépendent largement des gages que va donner le nouveau dirigeant syrien, Ahmed el-Charaa, aux Israéliens. Le président syrien a arrêté le 23 avril dernier deux dirigeants du Jihad Islamique, faction palestinienne alliée au Hamas à Gaza. Les Américains exigent plusieurs gages pour lever les sanctions sur la Syrie : la possibilité pour l’aviation militaire israélienne de survoler le territoire syrien, le renvoi des combattants étrangers hors de Syrie, et bien-entendu l’alignement de la Syrie sur les Accords d’Abraham, et donc la normalisation avec Israël.
Quant à la Jordanie, l’interdiction des Frères Musulmans est une décision ancienne de la Cour de cassation, mais qui n’avait jamais été exécutée. Elle a été annoncée quelques jours après la découverte d’une prétendue cellule composée de 16 membres des Frères Musulmans qui seraient associés au Hamas et qui ont été accusés de fabriquer des missiles et de nuire à la sécurité de l’Etat. Il faut inscrire cette décision dans la nouvelle donne régionale, à la fois le rapprochement entre le nouveau pouvoir syrien et la Turquie, qui inquiète Israël, et les pressions israéliennes, américaines et émiraties sur la Jordanie, qui exigent la dissolution des Frères Musulmans. Cette interdiction, préparée depuis plusieurs mois, pourrait à terme mener à une dissolution même du parti des Frères Musulmans en Jordanie, le Front de l’action islamique qui disposent de députés.
On voit donc comment les pressions internationales s’exercent non seulement sur la Syrie mais aussi sur la Jordanie, pays faisant partie de « l’axe de la modération arabe » soutenu par l’Arabie Saoudite.
Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, a traité le 24 avril dernier le Hamas de « fils de chien », lui demandant de rendre les otages israéliens. Que dire de l’état des relations entre le Fatah et le Hamas ?
Mahmoud Abbas a en effet expliqué que le Hamas était responsable de ce qui arrivait aux Palestiniens. Ces propos ont suscité de virulentes réactions, notamment de Nael Barghouti, ancien prisonnier récemment libéré et déporté en Egypte.
Totalement discrédité par la coopération sécuritaire avec les forces d’occupation et par le comportement des forces de police de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie qui tirent sur des Palestiniens, Mahmoud Abbas essaie de recomposer l’OLP. Ces propos ont été tenus parallèlement à la réunion à Ramallah du Conseil central palestinien, qui a décidé de nommer un vice-président du comité exécutif de l’OLP pour assurer la succession de Mahmoud Abbas. Cette réunion a été elle-même critiquée pour son manque total de légitimité, Mahmoud Abbas ayant décidé d’augmenter arbitrairement le nombre de participants pour contrer son opposition interne. Des partis politiques se sont également retirés du vote, et des personnalités politiques palestiniennes, comme Mustapha Barghouti, n’ont pas été conviées. La nomination d’un vice-président manque donc, en elle-même, de légitimité.
Les paroles et les actes de Mahmoud Abbas sont avant tout de simples réactions à des pressions externes américaines. Elles sont très mal reçues, à un moment donné où les Palestiniens sont massacrés. Mahmoud Abbas exerce enfin une pression en interne contre les membres de l’OLP qui s’oppose à une ligne qui ne représente que lui-même : celle de l’opposition absolue de l’entrée du Hamas et du Jihad islamique dans l’OLP.