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Photo du rédacteurInsaf Rezagui

Crimes de guerre et crimes contre l’humanité en Palestine

Dernière mise à jour : 25 avr.

Par Insaf Rezagui, membre du comité de rédaction.


Troisième article de la série "La Palestine, tombeau du droit international ?"



Photo : capture d'écran/ Eye on Palestine, Instagram


Précision : Dans cet article, nous nous concentrons sur les allégations de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, la question du génocide sera évoquée dans l’article 5 de notre série portant sur le droit international dans le conflit israélo-palestinien. Cet article est consacré au rôle de la Cour internationale de Justice, qui a été saisie d’une requête introductive d’instance par l’Afrique du Sud sur la base de la convention contre le génocide. 


Les violations du droit international pouvant constituer des crimes de guerre 

 

Le Statut de la Cour pénale internationale (également appelé Statut de Rome) établit quatre infractions majeures au droit international humanitaire (DIH), parmi lesquelles les crimes de guerre prévus à l’article 8 du Statut. Cet article prévoit 50 violations graves du DIH pouvant constituer des crimes de guerre. Il est possible de classer ces violations en deux catégories : la première catégorie concerne les infractions graves aux Conventions de Genève prévues à l’article 8, 2, a du Statut de Rome ; la seconde catégorie porte sur les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux prévues à l'article 8, 2, b du Statut de Rome.


A l’annonce de l’ouverture de son enquête dans la situation en Palestine en 2019, la Procureure d’alors, Fatou Bensouda, a affirmé qu’il existait une base raisonnable de croire que des crimes de guerre ont été ou sont en train d’être commis dans la bande de Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est et que ces crimes sont le fait de dirigeants israéliens, mais aussi de membres du Hamas. Dans un second temps, le Bureau du Procureur - aujourd’hui dirigé par Karim Khan - pourrait alors engager la responsabilité pénale individuelle des individus concernés et demander aux juges de la Cour d’émettre des mandats d’arrêt. Les opérations militaires israéliennes en cours dans la bande de Gaza et les attaques meurtrières du Hamas sur le territoire israélien, qui ont coûté la vie à près de 1 200 Israéliens, font également partie de l’enquête du Procureur de la Cour. 


Les allégations de crimes de guerre dans la bande de Gaza

  

Pour qualifier certains actes de crimes de guerre, il faut démontrer que ceux-ci remplissent les critères matériel, légal et moral : l’acte doit être prohibé et commis à l’encontre de personnes protégées (élément légal), durant un conflit armé, avoir un lien de connexité avec ledit conflit (élément matériel) et la personne mise en cause doit commettre l’acte illicite avec intention et connaissance (élément moral). Dans la commission de crime de guerre, il n’est pas nécessaire de franchir un seuil de gravité. Cela veut dire que le meurtre d’une seule personne peut être constitutif d’un crime de guerre s’il remplit ces trois éléments.

 

Concernant la première catégorie de crimes de guerre (les infractions graves aux Conventions de Genève), il s’agit de démontrer que des atteintes aux personnes et aux biens protégés sont commises par des responsables israéliens issus des forces armées régulières ou en tant que membres du gouvernement. Il s’agit notamment des homicides intentionnels (c’est-à-dire le fait de tuer ou causer la mort de personnes protégées), des mauvais traitements infligés à des personnes protégées, des destructions de nombreux biens « exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire » sans que celles-ci ne soient justifiées par des nécessités militaires, etc.

 

Concernant la seconde catégorie de crimes de guerre (les infractions graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux), ce sont notamment les attaques contre des cibles non militaires et le recours à des armes et méthodes de guerre prohibées, tels que le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités, de prendre pour cible des habitations civiles qui ne sont pas des objectifs militaires, etc.

 

Enfin, les groupes armés palestiniens se seraient également rendus coupables de crimes de guerre. La Palestine étant partie au Statut de Rome, certains de ses ressortissants appartenant auxdits groupes pourraient aussi faire l’objet de mandat d’arrêt, en raison par exemple de la prise d’otage de civils israéliens, des tirs aveugles de roquettes et de mortiers en direction du territoire israélien et des attaques du 7 octobre.

 

Les allégations de crimes de guerre en raison de la colonisation de la Cisjordanie

 

Israel est considéré unanimement par la société internationale des Etats et des organisations internationales comme une puissance occupante qui colonise le territoire palestinien comprenant la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza depuis 1967. Certains actes opérés dans le cadre de l’occupation et de la colonisation par les dirigeants israéliens peuvent constituer des violations du droit international et être constitutifs de crimes de guerre. C’est le cas notamment de la déportation ou du transfert par la puissance occupante d’une partie de sa population civile sur le territoire qu’elle occupe. 


En effet, l’article 49, paragraphe 6 de la IVe Convention de Genève rappelle que « la puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle ». L’article 53 de cette même convention prohibe les destructions par la puissance occupante des « biens mobiliers ou immobiliers appartenant individuellement ou collectivement à des personnes privées, à l’Etat ou à des collectivités publiques », sauf nécessité militaire. L’installation de colonies de peuplement ne peut être justifiée par des motifs de nécessité militaire. Pourtant, entre 2009 et 2021, l’ONU estime que 8 227 structures ont été détruites ou confisquées, obligeant 12 229 Palestiniens à se déplacer contre leur gré ailleurs en Cisjordanie. Il s’agit de règles du droit international coutumier et, si les éléments légal, matériel et moral sont remplis, ces violations constituent alors des crimes de guerre.

 

Tout d’abord, concernant l’élément légal, le Statut de Rome proscrit ces transferts de population par la puissance occupante. D’ailleurs, à l’issue de son examen préliminaire en 2019, l’ancienne Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a affirmé que la colonisation constituerait l’un des trois axes de son enquête. Ensuite, concernant l’élément matériel, il faut que ces transferts de population aient un lien de connexité avec un conflit armé international, ce qui est le cas en l’espèce, l’occupation militaire étant classée dans la catégorie des conflits armés internationaux.  Enfin, l’élément psychologique semble rempli, car il s’agit d’un transfert direct de population qui s’inscrit dans le cadre d’une politique coloniale structurée et assumée par les dirigeants israéliens, avec des appels d'offres pour la construction de logements dans les colonies. Par exemple, en août 2019, les autorités israéliennes publient des plans de construction de 3 412 unités de logements pour permettre l’installation de nouveaux colons israéliens en Cisjordanie. Il y a également une véritable structure législative israélienne encourageant la colonisation. La Knesset adopte régulièrement des lois visant à légaliser des habitations établies illégalement en Cisjordanie sur des terres privées appartenant à des Palestiniens. Israël finance aussi la construction de routes, d’écoles et de commerces dans les colonies, sans compter que ses soldats garantissent la sécurité des colons et des colonies. En outre, Israël octroie de nombreux avantages sociaux, tels que la prise en charge des frais de gardes pour les enseignants israéliens vivant en Cisjordanie ou des avantages fiscaux.

 

Les responsables israéliens savent que leurs actions sont à l’origine des éléments objectifs du crime (la colonisation) et ils commentent ces actions « dans l’intention concrète de provoquer les éléments objectifs du crime » (article 30 Statut de Rome). Par exemple, en septembre 2019, Netanyahu a déclaré « agir partout avec énergie pour la colonisation ». 

 

Les allégations de crimes contre l’humanité 

 

A ce stade, dans son enquête, le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale s’en tient aux allégations de crimes de guerre. Pourtant de nombreux Etats, des ONG et l’Autorité palestinienne plaident pour que l’enquête du Procureur intègre également les allégations de crimes contre l’humanité.

 

L’article 7 du Statut de Rome précise que le crime contre l’humanité « s’entend l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque (critère de l’intention) ». En résumé, il faut remplir quatre critères :

-    Le crime doit avoir été commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile : cela signifie que cette attaque se fait en application ou dans la poursuite de la politique d’un Etat ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque ;

-    Une liste d’actes inhumains est établie : meurtre, extermination, déportation ou transfert forcé de population, emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique, torture, viol, persécution de tout groupe pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste, crime d’apartheid, etc ; 

-    Les actes doivent avoir été commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial : il doit donc s’agir d’une politique étatique avec l’adoption de lois et règlements ;

-    Les actes doivent avoir été commis dans l’intention de maintenir ce régime.

 

Plusieurs actes pourraient être soulevés pour mettre en avant des allégations de crimes contre l’humanité, parmi lesquels la persécution et l’apartheid. 


Par persécution, on entend les mesures oppressives systématiques (souffrances physiques, mentales, privation des droits fondamentaux, atteintes aux biens) qui découlent d’une politique discriminatoire menée contre un groupe. Par l’ampleur et la nature de ces mesures, les victimes du groupe sont alors déshumanisées et désocialisées. Pour la CPI, c’est donc le « déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du droit international ». Cette déshumanisation peut passer par des bombardements, des prises d’otages, des destructions arbitraires, des dégradations d’édifices religieux ou de structures éducatifs, des persécutions économiques. Il s’agit alors pour l’Etat qui commet ce crime d’adopter des moyens pour satisfaire son intention de mettre en œuvre une politique de persécution en atteignant directement les victimes d’un groupe.

 

Par crime d’apartheid, le Statut de Rome entend les actes inhumains commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime. Cela passe par deux choses :

-    L’adoption de mesures législatives ou autres destinées à empêcher le groupe racial visé de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays, de créer des conditions faisant obstacle au développement du groupe considéré, en privant par exemple les membres de ce groupe de leurs libertés et droits fondamentaux (droit au travail, droit de former des syndicats, droit de quitter et revenir dans son pays, droit à une nationalité, droit de circuler librement, droit de choisir sa résidence, droit à la liberté d'opinion et d'expression, droit à la liberté de réunion ...) ;

-    Le régime institutionnalisé qui commet l’oppression et la domination doit être une autorité étatique, un gouvernement. Cela signifie que l’apartheid, c’est-à-dire la domination et l’oppression, est réalisé par l’usage de la loi, au sens large, de mesures administratives, etc. Les victimes ne doivent pas avoir de recours possibles contre ces mesures. Leur oppression est systématique, car elle est permanente et réglementaire.

 

Pour Amnesty international, soutenu par des Etats tel que l’Afrique du sud, il existe un système d’apartheid israélien envers le peuple palestinien, qui s’apparente à un “système cruel de domination”, et donc à un crime contre l’humanité. Plusieurs éléments l’attestent, notamment l’adoption de mesures par les autorités israéliennes pour empêcher les Palestiniens de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle de leur pays et de créer les conditions d’un développement juste. Ce régime est institutionnalisé car les lois et les mesures sont adoptées au plus haut sommet de l’Etat. C’est par exemple le blocus de Gaza, l’interdiction faite aux réfugiés palestiniens de revenir sur leur terre, la situation matérielle et juridique des Palestiniens de Jérusalem-Est par rapport à ceux du reste de la ville, le régime militaire instauré en Cisjordanie avec deux systèmes légaux qui prévalent (la compétence des tribunaux civils israéliens pour les colons et celle des tribunaux militaires pour les Palestiniens), le mur de séparation qui entrave la circulation des Palestiniens dans leur quotidien, etc. 


L’institutionnalisation d’un tel régime de séparation est assumée au plus haut niveau de l’Etat israélien. En effet, en 2019, Netanyahou déclarait : « Israël n’est pas l'État de tous ses citoyens, mais l'État nation du peuple juif et uniquement du peuple juif ».


Le caractère intentionnel semble donc rempli, faisant dire à Amnesty que « les lois, les politiques et les pratiques israéliennes sont au fil du temps devenu les principaux outils permettant d’établir et de maintenir ce système, aboutissant à la discrimination et à la ségrégation de la population palestinienne en Israël et dans le territoire palestinien occupé ».


Au regard de ces éléments, il semble nécessaire que le Bureau du Procureur intègre dans son enquête ces allégations de crimes contre l’humanité. Les opérations militaires israéliennes, d’une ampleur inédite, en cours à Gaza qui ont tué près de 30 000 Palestiniens et contraint 80% des Palestiniens y vivant à fuir vers le Sud et les violences majeures opérées par les colons, souvent avec le soutien de l’armée israélienne, obligent le Bureau du procureur à se pencher sur cette catégorie de crimes. 


Le prochain article de la série sera publié le 12 février

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