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  • Photo du rédacteurInsaf Rezagui

La qualification juridique du conflit israélo-palestinien

Dernière mise à jour : 25 avr.

Par Insaf Rezagui, membre du comité de rédaction.


Photo : Thomas Vescovi



L’année 2023 est l’année la plus meurtrière pour les Palestiniens où qu’ils soient sur le territoire palestinien. D’après les Nations Unies, depuis le 7 octobre, en Cisjordanie, 304 Palestiniens, dont 79 enfants, ont été tués par les forces armées israéliennes et par les colons. Dans la bande de Gaza, au 27 décembre, 21 100 Palestiniens ont été tués dans les bombardements israéliens, dont 70% sont des femmes et des enfants. Ces derniers jours, l’intensification des bombardements israéliens n’a donné aucun répit à la population palestinienne. Près de 200 Palestiniens sont tués quotidiennement à Gaza. 1,9 millions de Palestiniens sur les 2,3 millions ont été contraints de fuir leur foyer, soit 85% de la population. 142 personnels des Nations Unies ont été tués. 


Derrière ces chiffres vertigineux, ce sont des vies entières qui ont été décimées. Ces attaques massives sur la bande de Gaza, couplées à des violences de l’armée et des colons en Cisjordanie, traduisent une situation désespérée et l’échec du système international. Au premier rang de ce système, se trouve le Conseil de sécurité des Nations Unies qui s’est contenté d’adopter le 22 décembre 2023 une résolution a minima pour favoriser l’acheminement de l’aide humanitaire, sans pour autant appeler à un cessez-le-feu immédiat. Dans ce contexte, le droit international aurait pu servir de boussole à la société internationale. Le cadre juridique inhérent à ce conflit est établi et les règles applicables sont claires. Les mécanismes juridiques pour mettre fin à l’impunité existent et sont mobilisés depuis plus de vingt ans. Pourtant, l’impunité perdure, au détriment des vies, et la Palestine est devenue le tombeau du droit international.

 

Dans ce contexte, Insaf Rezagui vous proposera une série de cinq articles afin de comprendre la place du droit international dans le conflit israélo-palestinien : la qualification juridique du conflit israélo-palestinien et le statut juridique du territoire palestinien (article 1) ; le droit de faire la guerre (jus ad bellum) et le droit de la guerre (jus in bello) (article 2) ; les allégations de violations des règles de la guerre (article 3) ; les mécanismes juridiques mobilisés pour mettre fin à l’impunité, avec la Cour pénale internationale (article 4) et la Cour internationale de Justice (article 5).


Premier article : La qualification juridique du conflit israélo-palestinien et le statut juridique du territoire palestinien



Manifestation dans la région de Masafer Yatta (collines à sud d'Hébron) contre la décision de la Cour suprême d'Israël d'expulser les habitants palestiniens, juin 2022. Photo : Caterina Bandini


Israël-Palestine, un conflit armé international au sens du droit international

 

Le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1977 stipule que « les conflits armés dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l’occupation étrangère » sont des conflits armés internationaux. C’est le cas du conflit israélo-palestinien ; Israël occupe militairement le territoire palestinien depuis 1967 et la guerre des Six-Jours. La résolution 242 adoptée en novembre 1967 par le Conseil de sécurité souligne « l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire par la guerre » et demande le « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés », tout en précisant que les Palestiniens ont « le droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force ». 


Le Conseil de sécurité va à plusieurs reprises réitérer sa demande de fin de l’occupation israélienne, notamment en 1980 dans sa résolution 476 en réaffirmant « la nécessité impérieuse de mettre fin à l’occupation prolongée des territoires arabes occupés par Israël depuis 1967, y compris Jérusalem » et en déplorant « vivement le refus continu d’Israël, la Puissance occupante, de se conformer aux résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale ». Les résolutions du Conseil de sécurité sont juridiquement contraignantes, les États doivent les respecter.

 

Israël, puissance occupante et coloniale face au droit à l’autodétermination du peuple palestinien

 

Le statut de puissance occupante pour Israël et le statut de territoire occupé pour la Palestine, comprenant la Cisjordanie, Jérusalem-Est, et la bande de Gaza, a été rappelée en 2016 par une nouvelle résolution du Conseil de sécurité. Il a été réaffirmé également par l’Assemblée générale qui vote chaque année une résolution portant sur le droit à l’autodétermination du peuple palestinien ; par la Cour internationale de Justice dans son avis consultatif du 9 juillet 2004 et par les juges de la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale dans leur décision du 5 février 2021. En somme, lorsque les autorités israéliennes affirment qu’il s’agit de territoires disputés ou administrés, cela va à l’encontre du droit international et de la position unanime de la société internationale. Les prétentions religieuses et politiques n’ont aucune valeur juridique pour justifier d’une quelconque présence militaire et de l’implantation de colonies de peuplement.


Le territoire palestinien occupé comprend également la bande de Gaza, malgré le retrait de l’armée israélienne et des colons israéliens en 2005 et la prise de pouvoir du Hamas un an plus tard. En effet, depuis son retrait, Israël met en place un contrôle effectif indirect global de la bande de Gaza. Pour contrôler un territoire, la puissance étrangère doit disposer d’un contrôle effectif dudit territoire (article 42 du Règlement de La Haye de 1907). L’article 42 ne fait pas mention au contrôle effectif indirect, mais le tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie et la Cour internationale de Justice interprètent de manière extensive le critère direct de l’article 42. Le contrôle effectif indirect prend alors la forme d’un contrôle global par la puissance étrangère sur les autorités locales du territoire occupé. Avec ce contrôle indirect, il n’est plus nécessaire que les forces militaires étrangères - en l’espèce les forces israéliennes - soient directement présentes sur le territoire occupé. Aujourd’hui, Israël opère un contrôle effectif indirect de la bande de Gaza, à travers un blocus maritime, aérien et terrestre total, le contrôle des entrées et des sorties des personnes et des marchandises dans la bande de Gaza et en y menant régulièrement des opérations militaires, comme cela est le cas depuis le 7 octobre 2023.

 

Cette qualification juridique est importante car elle fait écho au principe fondamental du droit du peuple palestinien à l’autodétermination. La réalisation de ce droit est un des buts de l’Organisation des Nations Unies (article 4, paragraphe 2 et article 55 de la Charte de l’ONU). De nombreux autres outils juridiques font référence au droit à l’autodétermination, dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, ratifiés par Israël, et par de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale qui affirment qu’en vertu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, il leur appartient de déterminer « librement leur statut politique ». 


La Cour internationale de Justice rappelle que ce droit est « un des principes essentiels du droit international contemporain » et qu’il est opposable erga omnes, c’est-à-dire que l’ensemble de la société internationale doit le faire respecter. Le droit à l’autodétermination est pleinement réalisé si l’un des 3 objectifs suivants est mis en œuvre : le territoire non autonome est devenu un Etat indépendant et souverain ; le territoire s’est librement associé à un Etat indépendant ; le territoire s’est intégré à un Etat indépendant. Les Palestiniens ont choisi la 1ère option, celle d’un État de Palestine indépendant et souverain, même si aujourd’hui au regard de l’ampleur de l’occupation et de la colonisation israélienne, l’idée d’une solution à deux États semble irréalisable.

 

En somme, le droit à l’autodétermination est un principe cardinal des processus de décolonisation et a des conséquences en cas de maintien d’une occupation militaire, notamment le fait que ce territoire ne peut pas être annexé.

 

Malgré la reconnaissance du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, Israël poursuit sa politique de colonisation du territoire palestinien, en violation du droit international. En janvier 2022, 491 923 colons israéliens sont établis en Cisjordanie, et 220 000 à Jérusalem-Est, contre 3 200 000 de Palestiniens. Les colons israéliens représentent 13,8% de la population totale, soit une augmentation de 222% depuis 2000. La poursuite de cette colonisation contrevient aux règles de la IVe Convention de Genève et de son article 49 : « La Puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle »


Le Conseil de sécurité, dans sa résolution 465 de 1980, rappelait que « toutes les mesures prises par Israël pour modifier le caractère physique, la composition démographique, la structure institutionnelle ou le statut des territoires palestiniens et des autres territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem (…) n’ont aucune validité en droit et que la politique et les pratiques d’Israël consistant à installer des éléments de sa population et de nouveaux immigrants dans ces territoires constituent une violation flagrante de la Convention de Genève ». L’article 8 du Statut de Rome précise que « le transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante d’une partie de sa population civile, dans le territoire qu’elle occupe (…) » constitue un crime de guerre.

 

Dans son avis consultatif de 2004, la Cour internationale de Justice rappelle que la poursuite de l’occupation israélienne et de sa politique coloniale entrave le droit du peuple palestinien à l’autodétermination. En conséquence, Israël peut engager sa responsabilité internationale en raison de la commission d’un fait internationalement illicite. Il revient à la société internationale de ne pas reconnaître cette situation illicite et de contraindre Israël à se conformer aux principes du droit international.

 

Cette qualification juridique permet le déclenchement de l’application de nombreuses règles du droit international humanitaire, aussi appelé droit de la guerre, en vue d’apporter une protection large et importante aux populations civiles.

 

Depuis les attaques du Hamas le 7 octobre, la qualification juridique du conflit n’a pas évolué - il s’agit toujours d’un conflit armé international - et les règles qui s’y attachent restent applicables. Pour autant, Israël tente de justifier ses opérations militaires dans la bande de Gaza en reprenant le même argument qu’il invoque à chaque opération : son droit naturel à se défendre contre toute agression armée dirigée contre son territoire et/ou contre ses citoyens.

 

Le prochain article de la série sera publié le 16/01/2024.

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