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Photo du rédacteurInsaf Rezagui

Des reconnaissances de l’État de Palestine qui isolent encore plus Israël

Dernière mise à jour : 3 juil.

Par Insaf Rezagui, membre du comité de rédaction.


Le 28 mai dernier, l’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont officiellement reconnu l’État de Palestine. Le 4 juin, la Slovénie a fait de même, tout comme l'Arménie le 21 juin. Avant eux, la Jamaïque, la Barbade et Trinité-et-Tobago, trois États membres de la Communauté des Caraïbes, avaient reconnu la Palestine au cours des semaines précédentes. Ce sont désormais 148 États des 193 membres des Nations Unies qui reconnaissent la Palestine.


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence creative commons.


Le drapeau de la Palestine et les drapeaux des États européens

ayant reconnu l'État de Palestine depuis fin mai 2024.


La vague de reconnaissances de l'État de Palestine intervient alors que la guerre menée par l’armée israélienne dans la bande de Gaza a fait, selon les chiffres donnés par le ministère de la Santé du Hamas et jugés crédibles par les agences de l’ONU, plus de 38 000 morts et plus de 12 000 disparus. Avec ces reconnaissances, les États européens et caribéens à la manœuvre visent plusieurs objectifs : dénoncer la poursuite de la guerre ; isoler davantage le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, déjà acculé par les processus judiciaires internationaux en cours devant la Cour internationale de Justice et la Cour pénale internationale ; et rappeler leur attachement à la solution à deux États, israélien et palestinien.


Reconnaissance d’État ne signifie pas existence d’État


En droit international, un État n’a pas besoin d’être reconnu pour exister. Il faut opérer une distinction entre la reconnaissance d’État et l’existence d’État. La Palestine peut exister en tant qu’État sans être reconnue et vice versa.


L’article 1er de la Convention de Montevideo de 1933 (signée par de nombreux États d’Amérique, dont les États-Unis, l’article 1er de celle-ci est encore applicable aujourd’hui, car la définition qu’il donne de l’État est considérée comme du droit coutumier, applicable à tous) fixe les critères à remplir pour être un État : « L’État comme personne de Droit international doit réunir les conditions suivantes : Population permanente ; Territoire déterminé ; Gouvernement ; Capacité d’entrer en relations avec les autres États ».


Cette définition a été reprise par la jurisprudence internationale, notamment par la Commission d’arbitrage pour l’ex-Yougoslavie dans son avis n°1 du 29 novembre 1991.


La Palestine, qui a proclamé son indépendance en novembre 1988, a une population permanente (le peuple palestinien). Elle dispose d’un territoire déterminé, qui est celui d’avant la guerre des Six-Jours en 1967, qui comprend la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza, territoires occupés depuis par Israël. La Palestine dispose d’un gouvernement : l’Autorité palestinienne, qui représente officiellement le peuple palestinien sur la scène internationale. Elle entretient des relations avec les 146 États qui ont reconnu la Palestine, mais aussi avec ceux qui ne la reconnaissent pas.


En France, par exemple, une représentation diplomatique de la Palestine est installée à Paris. La Palestine a également des relations avec de nombreuses organisations internationales, dont l’ONU, au sein de laquelle elle dispose du statut d’État non membre depuis 2012 (elle obtient ce statut, à défaut d’obtenir celui de membre à part entière, car pour cela elle doit obtenir une recommandation favorable du Conseil de sécurité, empêchée par le veto américain). Elle est aussi un État membre de l’Unesco, de la Cour pénale internationale, d’Interpol, etc.


Au-delà de ces critères, il faut également que le gouvernement de l’entité qui revendique le statut d’État ait la capacité de contrôler et d’administrer son territoire. Il s’agit de l’effectivité. C’est sur ce point que des débats juridiques interviennent.


Aujourd’hui, Israël occupe militairement l’intégralité du territoire palestinien (la bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est), comme le confirment la Cour internationale de Justice, l’Assemblée générale des Nations unies, le Conseil de sécurité de l’ONU et la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale. Cette occupation empêche l’Autorité palestinienne d’exercer ses prérogatives gouvernementales en Palestine, y compris en zone A qui, depuis les Accords d’Oslo, devait pourtant être sous administration civile et militaire palestinienne. Ce contrôle de l’armée israélienne serait devenu permanent, car il perdure et s’accentue depuis 1967. Or la permanence d’une occupation militaire, qui s’apparente à une annexion de facto, est illicite en droit international.


En outre, l'Autorité palestinienne ne contrôle plus Gaza depuis que le Hamas en a pris le contrôle en 2007 après sa victoires aux élections législatives en 2006. Certains États affirment qu’il s’agit de la preuve que la Palestine ne remplit pas le critère d'effectivité ; il n'en reste pas moins que, en droit international, le principe fondamental de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État empêche d’invoquer un tel argument, car cela reviendrait à commenter la forme et le choix des gouvernants par les gouvernés.


Pour certains chercheurs, comme le professeur Jean Salmon, la Palestine doit tout de même pouvoir exister en tant qu’État, car l’effectivité de son gouvernement est empêchée par un fait illicite. Dénier à la Palestine le droit d’exister en tant qu’État en raison d’un fait illicite reviendrait à rendre l’occupation israélienne licite. Le problème est qu’il n’existe pas de mécanismes qui pourraient permettre de constater qu’une entité remplit les critères de la Convention de Montevideo.


C’est pourquoi pour acter l’existence d’un État, les États décident de le reconnaître individuellement. C’est à ce moment-là qu’intervient la question de la reconnaissance.


Les conséquences de la reconnaissance de la Palestine


En 1936, dans sa résolution « La reconnaissance des nouveaux États et des nouveaux gouvernements », l’Institut de droit international – fondé en 1873 pour favoriser le progrès du droit international – affirme que « la reconnaissance d’un État nouveau est l’acte libre par lequel un ou plusieurs États constatent l’existence sur un territoire déterminé d’une société humaine politiquement organisée, indépendante de tout autre État existant, capable d’observer les prescriptions du droit international et manifestent en conséquence leur volonté de la considérer comme membre de la Communauté internationale ».


La reconnaissance d’État a une valeur déclarative, et non constitutive. Celle-ci se matérialise par l’adoption d’un acte (décret, résolution parlementaire…) par un État qui constate que les critères de l’existence d’État sont remplis. Par cet acte, l’État qui reconnaît souhaite alors engager une relation juridique bilatérale avec l’État reconnu. Cela se traduit par exemple par l’ouverture d’ambassades dans les deux États qui entament cette relation. Ainsi, la Palestine devrait prochainement installer des ambassades à Madrid, Oslo, Ljubljana et Dublin. Cependant, Israël entend bien empêcher ce processus et a déjà adopté des mesures de représailles. Il a interdit à l’Espagne de délivrer ses services consulaires aux Palestiniens depuis le 1ᵉʳ juin.


Si ces reconnaissances ont avant tout un caractère symbolique, car elles ne peuvent pas permettre à elles seules d’établir la paix dans la région, elles permettent tout de même d’adresser certains messages à Israël et, plus largement, à l’ensemble de la société internationale.


Tout d’abord, elles contribuent à isoler davantage Israël. Le calendrier n’est pas un hasard. Elles interviennent quelques jours après que Karim Khan, Procureur de la CPI, ait demandé l’émission de mandats d’arrêt contre Benyamin Nétanyahou, son ministre de la Défense, Yoav Gallant, et trois dirigeants du Hamas. Elles interviennent aussi après que la Cour internationale de Justice ait rendu une troisième ordonnance dans l’Affaire de l’application de la Convention contre le génocide (Afrique du Sud contre Israël). Les juges de la CIJ exigent qu’Israël stoppe son offensive militaire à Rafah. Pourtant, dès le lendemain, des frappes israéliennes à Rafah ont fait quarante morts dans un camp de réfugiés.


Au-delà de la dénonciation de la poursuite de la guerre et de ses conséquences catastrophiques pour la population civile palestinienne, les États ayant reconnu la Palestine affirment que leur démarche doit permettre de marquer leur soutien à une relance du processus politique qui doit aboutir à la mise en œuvre de la solution à deux États. Le 22 mai, le premier ministre espagnol Pedro Sanchez affirmait que Benyamin Nétanyahou « provoque tant de douleur, de destruction et de rancœur à Gaza et dans le reste de la Palestine que la solution à deux États est en danger ».


Enfin, l’Espagne, la Slovénie et l’Irlande – trois États membres de l’Union européenne – entendent adresser directement un message à l’UE. Ils n’ont eu de cesse de pousser pour une reconnaissance de la Palestine au niveau régional, sans succès. Avec leur reconnaissance, ils entendent dénoncer l’absence d’unité européenne. Cette dénonciation s’est d’ailleurs illustrée lorsque le premier ministre irlandais, Simon Harris, dans une prise de parole publique le 22 mai pour annoncer la reconnaissance à venir de la Palestine, avait derrière lui les drapeaux de son pays et de l’ONU, mais pas celui de l’Union européenne.


Cette nouvelle vague de reconnaissances de la Palestine permet donc d’accentuer la pression sur le gouvernement israélien et de renforcer l’isolement international d’Israël, acculé de toutes parts. Elles sont aussi une nouvelle illustration d’une fissure du front occidental, divisé sur la question palestinienne et pointé du doigt par de nombreux États du Sud. Si ces reconnaissances ne changent pas les rapports de force sur le terrain et ne contraignent pas Israël à changer de position, elles permettent tout de même à ces États de marquer leur opposition à la poursuite de la guerre et leur soutien à la solution à deux États.

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