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Photo du rédacteurNitzan Perelman

Être journaliste palestinienne en Israël

Dernière mise à jour : 9 avr.

Hanin Majadli, Palestinienne citoyenne d’Israël, a longtemps exprimé ses opinions sur la politique et la société israéliennes à travers ses réseaux sociaux. Un jour, elle a reçu une proposition du journal israélien Haaretz pour écrire une chronique hebdomadaire partageant son point de vue. Aujourd'hui, elle est également éditorialiste de la version en arabe du seul quotidien de « gauche » du pays. Dans une interview en hébreu accordée à Yaani, elle évoque la situation des citoyen·nes palestinien·nes depuis le 7 octobre, dénonce la propagande des médias israéliens et partage son expérience personnelle en tant que journaliste palestinienne.

 

Hanin Majadli.


Qu’est-ce que vous pensez de l’état actuel des Palestinien·nes citoyen·nes d’Israël et de l’oppression qu’ils et elles subissent ?

 

Le 7 octobre, lorsque les Palestiniens ont allumé leur télévision et ont vu les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, ils ont immédiatement compris qu'ils devaient se taire. Nous avons rapidement compris qu'une riposte israélienne à Gaza était imminente et que nous, citoyens palestiniens, en subirions également les conséquences. Je savais que nous allions affronter des problèmes sérieux.

 

Depuis le premier bombardement à Gaza, l'État et la police ont trouvé le temps d'arrêter tout Palestinien écrivant à propos de la guerre, partageant une citation en arabe, une bénédiction, voire même la simple phrase : « qu’Allah les protège ». Chaque manifestation de solidarité est immédiatement réprimée, non seulement par la police, mais aussi par la société israélienne ! Aucun Palestinien, qu'il soit enseignant, fonctionnaire, médecin, ou agent de nettoyage, n'a été épargné. La simple publication d'une story sur Instagram suscite même la peur.

 

Il faut que vous compreniez que dans la société israélienne, si l'on exprime son opposition à la guerre, cela signifie immédiatement que l'on n'est pas opposé à ce que le Hamas a fait. Être contre la guerre signifie soutenir le Hamas. Beaucoup de Palestiniens me confient qu'ils se sentent étouffés ; ils ne peuvent rien dire à part condamner ce qui s'est passé le 7 octobre. Ils ne peuvent même pas évoquer le contexte ou condamner les actions d'Israël ! Même en condamnant ce qui s'est produit le 7 octobre, ils restent toujours suspects aux yeux des Israéliens...

 

Vous, sur vos réseaux et dans le journal, vous n’avez pas peur de publier ce que vous pensez ?

 

Disons que contrairement à beaucoup d'autres Palestiniens, je n'ai pas peur de perdre mon travail, j'ai une immunité journalistique. Je ne serai pas licenciée si je publie ce que je pense. Au début j'avais peur de mes lecteurs, de mes abonnés... mais aujourd’hui je me sens de plus en plus à l'aise pour publier ce que je veux dire. En tant que journaliste, je dois être consciente que si je veux exprimer mes opinions, je dois en assumer les conséquences. Oui, je fais attention, je ne publie pas tout, car je sais que si quelqu'un me menace, je ne pourrai pas m'adresser à la police israélienne ; en tant que Palestinienne, elle ne me protège pas. Heureusement, il y a des Palestiniens et des Juifs qui me soutiennent et m'encouragent à continuer. Je sais que je ne suis pas seule.

 

Donc, mis à part les journalistes, est-il impossible aujourd'hui en Israël d'exprimer sa solidarité avec les Palestinien·nes habitant Gaza ?

 

Les Palestiniens en Israël ne peuvent pas exprimer activement leur solidarité avec leurs compatriotes vivant à Gaza aujourd’hui. Ils savent qu'ils seront pourchassés par l'État. Un Palestinien qui a appelé à organiser une petite manifestation de contestation contre la guerre est détenu depuis deux mois et demi ! Actuellement, même les détentions administratives sont utilisées contre les citoyens palestiniens. En raison des défis liés à la citoyenneté israélienne pour les Palestiniens, ces derniers se retrouvent impuissants. Ils ne peuvent pas faire de dons car cela signifierait qu'ils financent l'ennemi. Ils ne peuvent pas organiser de manifestations car ils sont étiquetés comme soutenant l'ennemi... Ils se retrouvent dans une impasse, incapables d'agir.

 

On se demande si ce que l'on observe actuellement est différent de ce qu’il se passe habituellement. En réalité, les Palestinien·nes de 1948 subissent régulièrement l'oppression et à chaque guerre à Gaza (notamment en 2008, 2014 et 2021), on remarque une intensification de cette oppression...

 

L’oppression actuelle est bien plus étendue, agressive et violente. De plus, certains groupes de Juifs israéliens qui n'étaient pas habituellement impliqués dans l’oppression ni dans le boycott des citoyens palestiniens le font désormais. Je fais référence à ceux qui prônaient toujours la coexistence... un terme que je ne supporte plus entendre... Ils affirment à présent : « Je ne peux pas me rapprocher d'eux, j'ai ouvert les yeux, je ne veux plus leur parler, je ne veux plus les voir, je ne veux pas fréquenter leurs magasins ».

 

Est-ce que c’est le même cas à Haaretz, le quotidien où vous travaillez ?

 

Au début, dans les bureaux, tout le monde est resté silencieux, personne n'a parlé. Le silence régnait. Chacun était en panique, étouffé et muet. Au début de la guerre, le journal n'a pratiquement rien publié sur ce qui se passait à Gaza. Il se concentrait sur les récits des victimes israéliennes... De temps en temps, Gaza était abordé, mais cela restait rare. Je suis heureuse de dire qu'actuellement, nous publions de plus en plus d'articles sur Gaza, car il n'était plus possible d'ignorer ce qui s'y déroule.

 

Mais la majorité absolue des médias israéliens ignorent effectivement ce qui se passe à Gaza. Qu’est-ce que vous en pensez ?

 

C'est lamentable. Je ne trouve rien de positif à dire sur les médias israéliens. Ce sont des médias impliqués dans la propagande, qui sont empoisonnés et qui mettent en danger les citoyens du pays. Ils négligent le principe de base : rendre compte de l'intégralité de la réalité. Il ne s'agit pas de médias, mais plutôt d'un groupe de supporters enthousiastes. Ils considèrent que leur rôle consiste à remonter le moral des gens... Les seules exceptions sont Haaretz, +972, Siha Mekomit (« appel local » en hébreu) et d'autres plateformes alternatives. Les médias principaux parlent comme des fascistes. Ils utilisent un langage fasciste.

 

Je me demande comment il est possible qu'ils parlent de l'incitation à la haine contre les Juifs dans le monde, tout en faisant la même chose contre les Palestiniens ! Les médias en Israël font simplement partie de la Hasbara.

 

Vous affirmez que Haaretz est différent, donc vous ne vous sentez pas censurée ? Y a-t-il des termes que vous évitez ? En France, par exemple, il y a un débat autour de l'usage du mot « génocide ».

 

Au début de la guerre, j'ai évité d'employer le mot « génocide ». Tout était tellement explosif que j'avais peur de l'utiliser. Je voulais disposer de suffisamment de preuves pour le justifier... mais finalement, peu de temps après, ces preuves étaient déjà manifestes. Je voulais aussi être entendue par les gens ; je ne voulais pas immédiatement recourir au terme « génocide », même si, en mon for intérieur, je savais que cela allait se produire et que plus de 20 000 personnes pourraient être tuées. Aujourd'hui, il est évident que l'on peut parler de génocide, à la fois d'un point de vue chiffré et en considérant les caractéristiques des attaques israéliennes.

 

Il est important de dire que je m'auto-censure à la fois dans les termes que j'emploie et dans ma manière de les utiliser. Le journal ne me censure pas, car je m'auto-censure au préalable. Je dois le faire en tant que journaliste palestinienne travaillant pour un journal israélien, ainsi qu'en tant que citoyenne palestinienne. Je connais les limites imposées... J'essaie de repousser ces limites autant que possible, mais j'ai appris à m'adapter. Cependant, les gens ont toujours du mal à m'écouter même lorsque je m'auto-censure. Je reçois souvent des messages de haine, cela a toujours été le cas, mais depuis le 7 octobre, les critiques se sont intensifiées. Par exemple j'ai simplement mentionné que l'attaque du Hamas doit être considérée dans son contexte et sur une durée prolongée, tout en condamnant évidemment cette attaque. Ensuite, tout le monde m'a accusée de ne pas être entièrement opposé à ce que le Hamas a fait.

 

Les Israéliens peuvent dire : « Oui, l’attaque à Gaza est massive et il y a des actes horribles qui sont commis, mais cela n’est pas arrivé juste comme ça. Il y a un contexte, une raison pour cette attaque et ils l’ont cherchée ». Cependant, si un Palestinien ose dire que le 7 octobre s’inscrit également dans un contexte, cela est considéré comme un crime, un soutien à ce que le Hamas a fait. Il est impératif de parler des contextes ; aucun événement ne se produit dans le vide. Les Israéliens peuvent affirmer : « L’attaque du Hamas a eu lieu parce qu’il s’agit de fous, d'antisémites, etc. », mais on sait très bien que les choses sont bien plus profondes et compliquées que cela. Je suis fatiguée de ces discussions politiques qui me ramènent toujours au 7 octobre, alors qu'il y a déjà eu 20 000 Palestiniens tués ! Je n'ai pas besoin de faire référence au 7 octobre pour exprimer mes opinions sur le 24 décembre.

 

Cette guerre a clairement fait réaliser aux Palestiniens citoyens d'Israël, même à ceux qui n'ont pas de conscience politique ou nationale palestinienne, qu'ils n'ont pas de place dans ce pays.


Propos recueillis par Nitzan Perelman.

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