Par le comité de rédaction.
« Les agences d’information
dans toutes les langues du monde
se lamentent sur mon cœur
entièrement carbonisé
dans toutes les langues du monde
Malgré cela
de nouveaux bourgeons
tirent leur langue au brasier
(…) »
Bourgeons de charbon
Samih al-Qassim (1939-2014)
Le 7 octobre 2023 marque une nouvelle étape dans l’histoire coloniale du Proche-Orient, entre Palestinien·nes et Israélien·nes.
Au moment où nous écrivons ces lignes, l’État d’Israël dénombre 1 200 mort·es, tandis que la bande de Gaza ne parvient plus à compter ses victimes. Le 9 décembre 2023, l’ONU dénombrait plus de 17 000 mort·es. A Gaza, les bombardements, les opérations militaires au sol de l’armée israélienne et le déplacement forcé de plus d’un million de civil·es multiplient les fronts. En parallèle, en Cisjordanie où la violence est déjà quotidienne, les attaques des colons et de l’armée envers les Palestinien·nes se démultiplient, entrainant la mort de 249 Palestiniens et le déplacement forcé de plusieurs centaines de personnes. Les Palestinien·nes parlent d’une deuxième Nakba. A l’intérieur de l’État d’Israël, l’opinion publique se radicalise et l’oppression envers les Palestinien·nes de 1948, qui ont la citoyenneté israélienne, s’aggrave.
Cette nouvelle séquence ouverte le 7 octobre et son traitement médiatique ont renforcé notre conviction de voir naître un blog tel que Yaani. En gestation depuis janvier 2023, cet espace a pour vocation de s’adresser au plus grand nombre, en refusant catégoriquement de répondre à un agenda médiatique. Il y a ce que l’actualité dicte, et ce que nous estimons être les éléments permettant une juste compréhension des évènements.
Le « conflit israélo-palestinien » est une question récurrente dans l’espace médiatique francophone et paradoxalement une réalité très partiellement traitée. Ce conflit armé et colonial est devenu un objet médiatique à part entière jetant un voile de familiarité sur un ensemble complexe de questions politiques. Or nous sommes convaincu·es que le manque d’information d’une part et les informations erronées ou détournées d’autre part entravent la compréhension des événements couverts par les médias et empêchent de surcroît de dépasser les préjugés sur cette aire régionale et ses sociétés.
Cette familiarité trompeuse vient en effet s’appuyer sur de puissants imaginaires, hérités de l’orientalisme et réinvestis par l’instrumentalisation politique d’identités culturelles et religieuses. Cet imaginaire est d’autant plus présent qu’il est influencé par le passé antisémite, islamophobe et colonial de la France. Il structure l’identité française et questionne la capacité d’un État républicain, démocratique et laïc à garantir l’égalité de droits et les libertés fondamentales de tou·tes ses citoyen·nes.
Les atteintes à la liberté d’expression au sujet de la Palestine se démultiplient. Elles se traduisent notamment par des arrestations, des pressions et des mesures disciplinaires dans la sphère académique, l’annulation d’événements scientifiques, médiatiques et militants. Les accusations d’antisémitisme et d’apologie du terrorisme sont instrumentalisées pour taire tout débat et recherche sur la question palestinienne. Ces censures empêchent la critique de l’action de l’État d’Israël, pourtant contraire au droit international.
Nous affirmons que, d’un point de vue politique et scientifique, la neutralité est impossible tant les rapports de domination structurent les relations entre Israélien·nes et Palestinien·nes. La neutralité des discours politiques correspond à une représentation égale de rapports de force fondamentalement inégaux. Cette neutralité construite distord donc la réalité.
La neutralité scientifique correspond à la rigueur de nos méthodologies, à l’exposition de nos démarches d’enquête, à l’honnêteté intellectuelle de nos raisonnements, à la réflexivité et à la pratique du débat qui résument notre éthique professionnelle. Nous considérons que la subjectivité fait partie du travail de recherche, car elle le motive et le guide.
La rigueur politique et l’exactitude scientifique correspondent donc aussi à la reconnaissance de l’occupation militaire, l’apartheid et de la colonisation israéliennes. La documentation et l’analyse des rapports coloniaux en Palestine-Israël sont les conditions de la recherche de justice et de paix.
C’est pourquoi, au moment où l’espace de la liberté d’expression se ferme peu à peu pour les voix critiques en France comme en Israël, où notre solidarité avec les Palestinien·nes est entravée, nous avons décidé d’ouvrir ce blog.
Yaani, ce n’est pas une parole militante, ce n’est pas une parole absolue, yaani c’est une expression arabe, qui se glisse dans toutes les phrases et qu’on peut traduire par « c’est-à-dire ». Yaani, ce sont nos tentatives toujours renouvelées d’expliquer les multiples réalités du contexte palestino-israélien.