Par le comité de rédaction de Yaani.
Dans quelques semaines, nous fêterons nos deux ans d’existence. À cette occasion, nous souhaitons au travers de cet article commun revenir sur le travail accompli, interroger notre positionnement et aborder nos perspectives.
Les membres du comité de rédaction de Yaani viennent de divers horizons, mais leurs parcours ont été nourris par les études post et décoloniales, l’antiracisme politique, le droit international et la pensée antisioniste. Début 2023, notre ambition était de se rassembler pour faire face à deux constats, fruits de nos premières années d’expérience dans la recherche en France. D’abord, la difficulté à porter une voix décoloniale dans le champ scientifique, ainsi que le manque de diffusion auprès du grand public de recherches nourries par des terrains en Palestine et en Israël.
Ensuite, l’isolement voire notre sentiment d’impuissance face à des situations académiques de pression ou de censure, comme beaucoup d’autres chercheur·ses dans notre réseau. Les menaces contre les libertés académiques et d’expression n’ont pas débuté le 7 octobre, elles n’ont fait que s’accentuer et se durcir. Il s’agissait donc de créer un réseau, se coaliser, échanger, partager et participer à nourrir le débat public sur Palestine-Israël en diffusant un savoir scientifique ancré dans une grille d’analyse coloniale des rapports de domination.
Dès sa création, Yaani s’est ouvert aux publications de jeunes chercheur·ses, pour qui il s’agissait parfois de leur première publication. Mais pas uniquement : des professeur·es d’université, des chercheur·ses en poste ou encore des journalistes y ont également contribué, assurant à Yaani la visibilité indispensable pour sa pérennité. Nous tenons ici à les remercier.
Au travers de Yaani, nous cherchions aussi à mettre en pratique et en action les idées qui nous animent, dépasser la simple posture réflexive ou démarche individuelle. C’est dans cet esprit qu’est né notre premier article commun, publié en décembre 2023, en réponse directe aux critiques que nous recevons habituellement, tant pour nos travaux scientifiques que pour nos premiers textes sur Yaani, concernant un prétendu manque d’objectivité, comme si celle-ci était préalablement définie par une norme universelle. Notre réponse est restée claire et constante : la neutralité n’existe pas et nous n’y prétendrons jamais.
Parce que nous ne connaissons que trop bien les rapports de force qui animent le champ scientifique, mais aussi le champ médiatique, nous avons refusé le masque de la prétendue neutralité que certain·es expert·es arborent, que ce soient sur les plateaux ou dans les centres de recherche. Ce masque leur permet bien souvent de justifier, de manière détournée, un narratif qui vise, au mieux, à relativiser les rapports de domination en Palestine-Israël et dans les pays voisins, au pire, à justifier la politique coloniale, d’apartheid et génocidaire de l’État d’Israël.
Lorsque le 7 octobre a lieu, Yaani est à quelques semaines d’être lancé, après de nombreux mois de travail. Il a fallu plusieurs sessions de discussions pour décider du lancement du site. Parmi nos craintes : être perçu·es comme des opportunistes, cherchant à tirer parti d’une actualité dramatique et la capacité de notre collectif à tenir la distance, encore jeune et incomplet. Une fois le site en ligne, il nous fallait désormais l’alimenter régulièrement, construire notre crédibilité et affronter les critiques. Nos premières réflexions éditoriales, nos premières relectures d’articles et les premières propositions de contributions ont été réalisées avec en parallèle la réalité génocidaire dans la bande de Gaza.
Dès sa création, nous avons acté comme principe non négociable pour Yaani que nous n’écrivons pas sur des sujets qui ne sont pas les nôtres, et nous refusons de participer à la silenciation des travaux d’autres chercheur·ses. Dès lors, nous travaillons en collaboration avec différent·es spécialistes, les invitant à contribuer par un article, un entretien ou une prise de parole à l’un de nos événements publics. Dans le même esprit, nos réseaux sociaux ne se limitent pas à la promotion des activités des membres de Yaani : nous y relayons également des appels à mobilisation et au soutien de chercheur·ses attaqué·es, ou encore les travaux de collègues que nous estimons pour leur apport au savoir scientifique. Ce positionnement a été affirmé et développé dans notre deuxième article commun, publié à la rentrée 2024 et intitulé « Du droit à l’étude et au boycott d’Israël ».
Rester fidèles à notre première ligne à la fois éditoriale et éthique n’a pas toujours été simple : il a parfois fallu passer par de longs débats entre nous, s’écouter les uns les autres, accueillir les remarques et accepter les critiques internes comme externes. Des étapes et des épreuves qui nous ont nourries intellectuellement.
Là se forge le cœur de notre conviction : décoloniser les savoirs et décloisonner la pensée scientifique pour en assurer la diffusion la plus large possible ne peut pas se cantonner à une position symbolique, ou de principe, à un texte ou à un événement scientifique. C’est un processus exigeant, fondamentalement collectif, qui nous engage tou·te·s au travers de nos pratiques et nécessairement tourné vers le grand public.
Cette conviction initiale n’a cessé de se renforcer : notre volonté de développer une analyse critique et de nourrir une pensée décoloniale n’est pas un point d’arrivée, mais une quête à réinterroger sans cesse. C’est précisément cette exigence qui nous a permis, en deux ans, d’affiner nos écrits, d’aiguiser notre regard sur le champ scientifique et de consolider notre présence dans l’espace public.
La confiance que nous témoignent un nombre croissant de chercheur·ses, tout comme l’élargissement de notre lectorat, sont pour nous à la fois une récompense et la confirmation de la pertinence de notre positionnement.
Au nom de tou·te·s les membres de Yaani : merci.
