Par Ahmed Abdel Halim, romancier et chercheur égyptien écrivant sur la sociologie politique et le corps, explorant sa relation avec les espaces de pouvoir, le colonialisme et le néolibéralisme. Traduit de l’anglais par Victor Auburtin, stagiaire au sein de Yaani.
Le corps et le visage sont devenus des champs de bataille symboliques du conflit israélo-palestinien. Lorsque les corps des Palestiniens sont marqués et profanés par Israël, c’est une tentative de domination coloniale sur leur identité. Face à cette violence, le masque porté par les résistants palestiniens devient un outil de protection mais aussi de réappropriation du visage, transformé en symbole de défiance et de lutte.

Début avril, le prisonnier politique palestinien Musab Qatawi a été libéré d’une prison israélienne. Musab est sorti de captivité avec la tête rasée, sur laquelle des soldats israéliens avaient gravé l’étoile de David. Ce cas n’est pas isolé. Environ deux ans auparavant, la même étoile avait été gravée sur Orwa Sheik Ali, un prisonnier palestinien libéré, mais cette fois-ci à même son visage, sous la forme d’une mutilation. Dans les lignes qui suivent, nous cherchons à comprendre pourquoi Israël dessine l’étoile de David sur le corps, la tête et le visage des prisonniers palestiniens. Nous aborderons ensuite la philosophie du « masquage du visage résistant » par les membres de la résistance, en allant au-delà de sa dimension sécuritaire nécessaire et évidente, pour nous concentrer sur sa dimension humaine et philosophique dans la résistance à l’occupation israélienne. Nous comprendrons le visage humain, son identité et sa représentation, comme une lutte pour la libération entre le colonisateur et le colonisé.
Le visage comme identité du vainqueur
La mentalité sioniste, à travers ses pratiques à l’intérieur et à l’extérieur des prisons, est une mentalité coloniale qui cherche à effacer l’identité de l’autre – en l’occurrence le Palestinien colonisé. Elle a révélé sa nature génocidaire après le 7 octobre. Au sein du système carcéral israélien, en particulier depuis l’arrivée au pouvoir du ministre d’extrême droite Itamar Ben-Gvir à la Sécurité nationale depuis 2022, les prisonniers palestiniens vivent dans des conditions infernales. Les autorités les soumettent à des pratiques physiques humiliantes visant à dissoudre l’esprit palestinien, à le détruire complètement, afin qu’il renonce son identité de Palestinien résistant et devienne un être humain, ou moins encore, dépourvu de toute identité propre.
Le fait d’inscrire l’étoile de David sur la tête et le visage des deux prisonniers palestiniens évoqués précédemment – et potentiellement d’autres cas qui n’ont pas été relayés par la presse – figure parmi ces pratiques carcérales humiliantes. Israël a spécifiquement choisi la tête, et le visage en particulier. Le visage ici n’est pas un simple visage humain ; c’est un visage qui représente le soi et l’identité palestinienne résistante, un visage qui incarne la fierté du soi captif. Avant leur libération, Israël a cherché à y imposer son identité, c’est-à-dire à remplacer le visage palestinien par le visage israélien, le visage du colon. Il efface une identité pour en imposer une autre – coloniale et dominante – comme une forme de punition éternelle, de honte directe et d’humiliation. Cela envoie un message clair du système colonial aux corps palestiniens, comme pour dire : « Puisque tu me résistes avec ton corps pour chasser mon corps et mon identité de cette terre, j’ai placé mon identité sur ton corps, ô Palestinien, pour toujours. »
Parmi les politiques génocidaires menées par Israël à Gaza – se manifestant tant sur les corps que sur les visages – figurent également les politiques de famine. Israël assiège la bande de Gaza et refuse l’entrée de l’aide humanitaire, notamment alimentaire et médicale, ce qui non seulement provoque des décès liés à cette famine et à ce manque de soins, mais imprime également une marque durable, une fragilité forte et évidente visible sur les visages. Le visage des Gazaouis, ses traits, son identité, sont devenus craintifs, pâles et perpétuellement en larmes, sans espoir. Israël punit les visages palestiniens sans les graver ni les dessiner directement. Cela s’ajoute aux blessures qui ont affligé les visages des Palestiniens de Gaza, causant des handicaps permanents à cause des bombardements, des explosions de drones, des éclats de missiles et d’autres facteurs. De plus, l’attaque des explosions de bipeurs au Liban en septembre 2024 a entraîné des centaines de handicaps et de déformations sur les visages des Libanais, montrant clairement que les politiques d’Israël n’ont aucune limite dans leur profanation du visage humain. Il doit donc y avoir un visage humain résistant qu’Israël n’accepte pas de voir.
Le masque : façonner un visage résistant
Le masque, qui dissimule le visage, a toujours été utilisé à des fins sécuritaires, militaires, sanitaires, artistiques, professionnelles et autres. Les voleurs, les bandits de grand chemin, les soudeurs – et tous ceux qui utilisent le feu dans leur travail –, les médecins, les acteurs, les révolutionnaires et les guerriers portent des masques pour s’échapper, se protéger, commettre des vols, se produire sur scène et combattre. Cependant, dans le contexte de la résistance au colonialisme, en particulier dans le cas palestinien, le masque sert non seulement à se dissimuler aux yeux des forces de sécurité israéliennes et de leurs collaborateurs, mais aussi à se dissimuler à l’image peinte par Israël du visage palestinien – une image inhumaine conçue par les politiques israéliennes dans le but de profaner complètement le corps palestinien, ce qui commence par le regard porté sur leur visage, conduisant à la perception qu’il s’agit d’un visage inhumain.
Tout réside dans le visage. Le visage palestinien n’est pas seulement un visage humain exprimant des émotions individuelles qui changent avec le temps. Il est le théâtre d’un conflit plus profond : la lutte pour la visibilité, la dignité et la reconnaissance. À travers ses traits, et en particulier à travers les yeux, on perçoit la fierté, la douleur ou la défiance. Ce visage est interprété et construit comme le visage colonisé, le visage de « l’Autre », considéré comme moins humain que celui du colonisateur israélien, le « Je ». Ainsi, la relation conduit à deux visages et aucun troisième : le « Je » et « l’Autre », le colonisateur et le colonisé. Plus le visage palestinien s’éloigne du visage israélien, plus il est considéré comme un simple visage humain. Mais plus il s’en rapproche, plus il devient un visage inhumain aux yeux de l’Israélien. Et comme les deux visages sont inséparables, puisqu’ils vivent sur une même terre, la rencontre est inévitable. Comme le dit le philosophe du visage et de l’autre, Emmanuel Levinas : « [La rencontre] reflète la constitution humaine, qui est dans un état de fermeture et d’achèvement en présence de l’autre, mais elle ouvre plutôt cette constitution à sa profondeur et lui donne en même temps une dimension personnelle. »
Par conséquent, le masquage du visage dans la résistance palestinienne, au-delà de sa fonction sécuritaire cruciale – qui consiste à protéger l’identité du combattant contre les poursuites, les interrogatoires et l’emprisonnement par l’occupant israélien ou les agences collaboratrices de l’Autorité palestinienne –, perturbe également le regard de l’ennemi, un regard qui insiste pour voir le visage palestinien comme « l’Autre », d’un degré inférieur, diminué et subordonné. Ici, le visage a complètement disparu ; il est devenu un simple visage sans nez, sans bouche, sans joues, sans aucun trait qui permettrait de le profaner ou de le considérer comme inhumain. C’est comme si la résistance palestinienne répondait à l’occupant, à travers son masque, en disant : « Vous avez vu mon visage comme un autre visage, un visage inhumain, puis vous l’avez profané en le tuant, en le battant, en le torturant, en l’humiliant et en le mutilant. Alors maintenant, je n’ai plus de visage à vous montrer ; je vous l’ai complètement caché, et cela efface ce que votre mentalité coloniale a conçu. »
Cependant, ce qui reste du visage masqué, ce sont les yeux – les yeux de la résistance qui regardent leur ennemi et sont à leur tour vus par celui-ci. Pourtant, du point de vue israélien, ce ne sont plus les yeux soumis et brisés que l’on croyait autrefois faciles à dompter par la violence. Au contraire, ce sont des yeux qui apparaissent et disparaissent, des yeux qui observent, suivent, résistent et même tuent, reflétant le regard et les actions mêmes de l’occupant. Ce ne sont pas des yeux ordinaires, ce sont des yeux provocateurs et résistants qui regardent sans crainte leur occupant et cherchent à résister à sa violence par une violence résistante contre ses politiques coloniales.
Récemment, le discours des visages masqués résistants est devenu plus évident, en plus des discours d’Abu Obeida – le porte-parole masqué des Brigades Al-Qassam (branche armée du Hamas) –, lors de scènes de remise de prisonniers israéliens. Les membres des Brigades, masqués et en uniforme, ont remis les prisonniers aux responsables du comité international de la Croix-Rouge, délivrant des témoignages et des messages qui rejettent la capitulation et affirment leur résistance continue à la guerre génocidaire de l’occupation. Cependant, ils n’ont pas fait ce que l’occupation a fait aux corps des prisonniers palestiniens ; ils n’ont pas écrit ou gravé de mots ou de dessins représentant l’identité palestinienne, tels que le drapeau palestinien, le keffieh ou d’autres signes d’identité, sur les corps des prisonniers israéliens. Il apparaît ainsi clairement que la mentalité de résistance palestinienne dans le conflit ne concerne pas tant le corps lui-même que la terre, leur terre que l’occupation a saisie et, par une violence génocidaire, depuis 1948 jusqu’à aujourd’hui, colonisée avec les corps de ses colons venus du monde entier. De plus, l’armée israélienne a également dessiné l’étoile de David sur la terre de Gaza dans la guerre actuelle.
Des fedayins d’Égypte, de Syrie, du Liban et de Jordanie à l’Armée populaire vietnamienne, en passant par les zapatistes mexicains, les Tigres tamouls du Sri Lanka, les sandinistes du Nicaragua et l’Armée rouge japonaise, pendant des décennies de lutte contre la tyrannie et le colonialisme, les combattants ont caché leur visage derrière des masques. Leurs couleurs et leurs formes diffèrent, mais leur signification est la même : protéger leur identité, proclamer leur défiance et transformer leur visage en un autre champ de bataille de la résistance. Toute cette longue histoire de résistance pour la libération est celle de la résistance du visage colonial par le visage résistant.