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« Républicains » et justificateurs du génocide. Analyse de l’occidentalisme

  • Photo du rédacteur: Thomas Vescovi
    Thomas Vescovi
  • 12 mai
  • 11 min de lecture

Par Thomas Vescovi, doctorant en science politique à l'ULB (Université Libre de Bruxelles) et l'EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales).


Très active dans l'espace public, une partie du champ politique et médiatique, autoproclamée « défenseure de la République », manifeste un soutien inconditionnel à Israël depuis le 7 octobre 2023. L'analyse des matrices idéologiques qui la constituent est indispensable pour appréhender et déconstruire son discours.


Capture d’écran de la vidéo diffusée par la chaine Youtube officielle IsraeliPM, lors de la rencontre en 2013 entre le président français François Hollande et Benjamin Netanyahou
Capture d’écran de la vidéo diffusée par la chaine Youtube officielle IsraeliPM, lors de la rencontre en 2013 entre le président français François Hollande et Benjamin Netanyahou

L’annonce le 4 mai sur le site du Parti socialiste de la création du « Cercle socialiste des ami.e.s d’Israël » a provoqué stupeur et condamnation sur les réseaux sociaux ou dans la presse de gauche. Retiré 24 heures après sa mise en ligne, le texte, qui s’apparente à une contribution dans le cadre du congrès du PS, assumait pleinement son soutien à l’entreprise génocidaire israélienne. Les multiples copies et captures d’écran permettent de saisir l’ampleur du malaise puisque parmi les signataires figurent plusieurs cadres de l’organisation et des élus à la mairie de Paris.

 

Quelques semaines auparavant, le 14 mars 2025, une tribune dans Le Monde appelait à sanctionner l’antisionisme, considéré comme un prétexte pour dissimuler un « antisémitisme actif ». Entre contresens historiques et mensonges éhontés, cette publication d’une inconséquence politique difficilement égalable bénéficiait de signatures allant de François Hollande à Jean-Michel Blanquer, en passant par Gabriel Attal, Anne Hidalgo ou Bernard Cazeneuve, ainsi que plusieurs personnalités publiques comme Elisabeth Badinter ou Joann Sfar.

 

Ces deux exemples illustrent l’existence au sein du champ politique français d’un soutien inconditionnel à l’État d’Israël. Que l'extrême-droite française s’aligne sur l'extrême-droite israélienne au nom d'une même vision raciste du monde, n’est pas surprenant. Toutefois, il est question ici du soutien à Israël émanant d'organisations et de personnalités publiques, de la droite au centre-gauche, affirmant agir au nom de la « République », de « l'universalisme » et de prétendues « valeurs communes » entre un « camp occidental » et Israël. Une couverture discursive qui masque mal des positions similaires à celles de l'extrême-droite européenne, voire au trumpisme.

 

S’il semble bien hasardeux de s’aventurer à nommer par un seul qualificatif ce champ politique, tant il demeure hétéroclite et peut être clivé sur d’autres questions, une défense radicale de l’occidentalisme semble son point de convergence. Par « occidentaliste », nous entendons ici une conviction intime et profonde en la supériorité civilisationnelle de l’Occident, se manifestant par des positions toutes à la fois atlantistes, islamophobes, néo-conservatrices et sionistes. Cet article entend proposer une première analyse, qui reste à poursuivre, des motivations qui sous-tendent l’appui de ce courant à un État devenu le principal incubateur de désordre et de radicalité au Proche-Orient.

 

« Si Israël tombe, nous tombons »

 

Sous ses faux airs républicains et universalistes, ce champ politique incarne l’héritage d’un colonialisme républicain issu de la IIIe République. Ses membres partagent d’ailleurs plusieurs points communs avec leurs aïeux : un orientalisme pétri d’islamophobie - terme dont ils contestent le bien fondé -, renforcé par une vision du monde imprégnée de l’imaginaire du choc des civilisations. À travers cette configuration, ils se complaisent dans une prétention à incarner un phare contre les obscurantismes. Autant de premiers éléments qui participent à leur alignement sur l’État d’Israël.

 

Depuis le 7 octobre 2023, commentateurs ou responsables politiques ont multiplié les déclarations pour inscrire cette date dans l'histoire du djihadisme international, à l'instar du 11 septembre 2001 ou des attentats qui ont frappé Paris en 2015. Cette analogie sans fondement scientifique, qui permet de masquer les rapports de domination d’ordre colonial entre Israéliens et Palestiniens, est pourtant relayée par nombre de figures médiatiques : déjà en 2017, le géopolitologue Frédéric Encel et le journaliste Philippe Val tenaient une conférence à la Tal Business School de Tel-Aviv intitulée « France – Israël, deux démocraties face au fléau islamiste ».


« Dans un contexte international de "guerre contre le terrorisme islamiste" et d’islamophobie normalisée, agiter l’épouvantail du Hamas, de surcroît depuis les crimes commis le 7 octobre, permet aux occidentalistes de mobiliser un écran de fumée afin de détourner le regard sur les plus de 75 ans de domination coloniale en Palestine. »

 

Cette rhétorique, sur laquelle se fonde également le Rassemblement national, s’est retrouvée au cœur d’une soirée « Pour la République… La France contre l’islamisme », mais dont une large partie de la presse a souligné les discours hostiles aux musulmans. L'événement, organisé notamment par le lobby pro-israélien Elnet, a repris ces analogies faisant d’Israël et de son armée un bouclier, un rempart, contre ces menaces qui viendraient d'un Orient menaçant et terrifiant. Aux côtés du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, l’ancien Premier ministre et actuel ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a pu plaider pour une défense des « valeurs occidentales ». Un argumentaire déjà déroulé dans une tribune au Point, le 6 octobre 2024, pour appuyer l’argument central de sa diatribe : « si Israël tombe, nous tombons ».

 

Il paraît toutefois indiscutable que rien ne puisse être plus « universel » que le droit international dont l’Occident s’enorgueillit d’être à l’origine. Or, celui-ci est systématiquement éludé par ces mêmes défenseurs d’une prétendue « civilisation occidentale » pour garantir l’impunité et la protection contre toute sanction à l’encontre d’Israël. Et ce à un moment où la justice internationale n’a jamais été aussi claire sur l’illicité de la politique israélienne à l’encontre des Palestiniens. La Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre des responsables politiques israéliens pour crimes de guerre et contre l’humanité, tandis que la Cour internationale de justice a rappelé le caractère illégal de l’occupation du Territoire palestinien par Israël, mentionnant la mise en place d’un système de séparation juridique et physique caractéristique d’un régime d’apartheid et de ségrégation raciale.

 

En d’autres termes, se référer strictement au droit international amène sans ambiguïté à reconnaître l’asymétrie des forces en présence entre un occupant colonisateur et un occupé colonisé. Dans un contexte international de « guerre contre le terrorisme islamiste » et d’islamophobie normalisée, agiter l’épouvantail du Hamas, de surcroît depuis les crimes commis le 7 octobre, permet aux occidentalistes de mobiliser un écran de fumée afin de détourner le regard sur les plus de 75 ans de domination coloniale en Palestine ­— soit des décennies avant la création de l’organisation islamiste palestinienne.

 

Au point parfois d'entretenir un rapport parfaitement métaphorique et hors-sol à la réalité d’Israël et à son fonctionnement. Dernier exemple en date avec la rupture de la trêve par le gouvernement israélien : alors qu’en Israël, des responsables politiques et des milliers de manifestants protestent, et que la presse sans équivoque pointe la responsabilité du gouvernement Netanyahou dans la reprise de la guerre, les occidentalistes français relaient sur les réseaux sociaux, ou dans les médias, les éléments de communication des autorités israéliennes centrant la responsabilité sur le Hamas et focalisant les préoccupations sur l’unique sort des derniers otages. Sort qui, plus que jamais, est devenu intrinsèquement lié à celui des habitants de Gaza.

 

Contester le statut de « victimes » des Palestiniens

 

Appréhendée comme une « démocratie occidentale », Israël bénéficie de ce qu’il faut se résoudre à appeler une « solidarité blanche », fondée sur un transfert civilisationnel et de couleur. Ainsi, l’armée israélienne jouit d’une présomption de crédibilité quand les Palestiniens, comme les Arabes en général, doivent systématiquement avancer la preuve de leurs affirmations. Cet humanisme à l’ethnicité variable s’illustre par la manière dont contrairement aux Israéliens, les Palestiniens ne peuvent compter sur aucune forme réelle d’empathie : considérés comme les principaux responsables de leur drame, ils sont renvoyés à l’insécurité qu’ils feraient peser sur Israël, ce qui justifierait ainsi l’oppression qu’ils subissent.


« Omniprésent médiatiquement, ce courant s’est attelé à contester le statut de victimes aux Palestiniens, multipliant les déclarations négationnistes pour remettre en cause les chiffres avancés tout autant que le caractère génocidaire de la guerre menée à Gaza. »

 

Le sort des milliers de prisonniers politiques palestiniens, dont une large partie est incarcérée sans motif ni jugement, passe au second plan face au sort des « otages israéliens ». Les humiliations, les tortures, les violences sexuelles subies par les Palestiniens dans les prisons militaires israéliennes sont silenciées, quand le quotidien des captifs israéliens est largement documenté, sans recul, au point de relayer des fausses informations qui continuent jusqu’à présent d’être utilisées pour animaliser et diaboliser les Palestiniens. Les quelque quinze mille enfants de Gaza tués dans les bombardements, les tirs ou les restrictions d’aide humanitaire de l’armée israélienne, semblent insignifiants comparés au drame vécu par la famille Bibas.

 

Alors même que les experts militaires et humanitaires sur place constatent la sous-évaluation du nombre de décès du fait de l’impossibilité de secourir les personnes sous les décombres, ou de décompter les victimes qui ne sont pas transportées dans les hôpitaux, les occidentalistes n’ont eu de cesse, depuis dix-neuf mois, d’imposer leur propre réalité au profit du narratif israélien. Omniprésent médiatiquement, ce courant s’est attelé à contester le statut de victimes aux Palestiniens, multipliant les déclarations négationnistes pour remettre en cause les chiffres avancés tout autant que le caractère génocidaire de la guerre menée à Gaza. Raphaël Enthoven ou Caroline Fourest ont démontré, à maintes reprises, leur maitrise d’un tel argumentaire.

 

Cet alignement s’étend à l’ensemble du traitement des Palestiniens en Territoire occupé. Le 23 mars, la chroniqueuse Sophia Aram, égérie de ce courant, jugeait pertinent sur X de relayer une information manipulée et tronquée à l’encontre de l’avocat et ancien prisonnier politique palestinien Salah Hammouri. Ce dernier, présent à la marche du 22 mars contre l’extrême droite à Paris, était ainsi qualifié de « type qui reconnaît avoir planifié l’assassinat d’un rabbin ». Peu importe que les ONG et plusieurs médias aient rappelé, nombre de fois, que comme les quelques 99 % de Palestiniens présentés devant un tribunal militaire israélien, Salah Hammouri était déjà condamné avant d’être jugé, et ce en dépit de la démonstration de son innocence. Le « plaider coupable » reste l’unique moyen pour eux de voir leur peine réduite du triple au double, du double au simple, en dépit d’un dossier d’accusation faible voire dans certains cas inconnus.

 

En considérant Israël comme un État de droit, Sophia Aram et le courant occidentaliste occultent éhontément le statut d’occupant de la justice israélienne, matrice centrale du régime colonial, pour reprendre aveuglément les éléments de communication diffusés par les autorités israéliennes. Pour tant d’autres causes à travers le monde, ils seraient à l’écoute des témoignages d’humanitaires, attentifs aux rapports des ONG : en revanche, tous les moyens paraissent bons pour diffamer les Palestiniens, relativiser les oppressions qu’ils subissent et diaboliser ceux qui les soutiennent.

 

Un républicanisme occidentaliste aux accents trumpistes

 

Tout en s’indignant publiquement de la politique mise en place aux États-Unis par Donald Trump vis-à-vis, par exemple, du monde scientifique, les occidentalistes avancent à leur manière dans la même direction. Ils ont largement recours au complotisme ou à leur propre ressenti pour imposer des « paniques morales ». En témoigne leur croisade documentée contre le « wokisme », illustrée par de nombreux articles publiés dans les magazines Le Point, Marianne ou Franc-Tireur, particulièrement plébiscités par ce courant.

 

Sur Palestine-Israël, cette réalité alternative se manifeste par une bataille politique contre la justice internationale, sur la base d’une vision complotiste du monde : l’ONU et les institutions internationales seraient noyautées par les adversaires d’Israël, quand les ONG de défense des droits humains auraient cédé aux injonctions du « Sud Global ». Á l’annonce des mandats d’arrêt, Franc-Tireur publiait un article accusant la CPI de « s’emmêler » car elle placerait sur le même plan « terrorisme et riposte démocratique ». Le journal, comme d’autres médias issus de ce courant, a également alimenté la campagne de diffamation à l’encontre de l’Unrwa, l'agence onusienne qui vient en aide aux réfugiés palestiniens.

 

Entre stéréotype civilisationnel et universalisme profondément colonial, il s’agit invariablement d’ignorer les faits au profit d’une seule conviction et vision du monde : celle d’un monde libre et occidental auquel appartient Israël. En procédant ainsi, ils censurent les grilles d’analyse matérialistes à l’avantage d’une lecture strictement idéologique, manipulant les peurs collectives et diffusant des représentations racistes du monde. Cette stratégie participe à éroder les principes fondateurs de la justice internationale, alors même que sont largement documentées les pressions et sanctions concrètes qui pèsent sur ses représentants afin qu’ils ne prennent aucune décision contre les dirigeants israéliens.

 

Sauf que même les campagnes de communication les plus efficaces ont leur limite. Par leurs propos, Donald Trump et les principales figures du gouvernement israélien heurtent la morale publique, scandalisent et sont largement rejetés dans l’opinion. Il est difficile de ne pas leur faire porter la responsabilité des images innommables en provenance de Gaza. Dès lors, la contorsion entre une prétention « humaniste » ou « universaliste » et le soutien affiché à Israël apparaît explicitement comme une contradiction que certains occidentalistes tentent péniblement de résoudre.

 

Le plus souvent, il s’agit de faire porter toute la responsabilité sur quelques ministres, généralement les plus extrémistes, en ménageant autant que possible l’armée israélienne ou l’État d’Israël en tant qu’entité coloniale. Ni appel à des sanctions, ni au jugement des criminels de guerre, et encore moins la formulation d’excuses sur leurs propos diffamant à l’encontre des personnalités ou citoyens ayant manifesté depuis dix-neuf mois leur solidarité avec les Palestiniens : quelques dénonciations, largement relayées par la presse, afin de masquer leur participation active à la construction d’un consentement pour l’écrasement de Gaza et les crimes qui l’accompagne. Les déclarations récentes de Delphine Horvilleur, Anne Sinclair ou Joann Sfar, suivies dans la foulée d’une pétition dans la Tribune du Dimanche, dépolitisante et ne cherchant qu’à apaiser la conscience de ses signataires, en sont les exemples les plus saillants.

 

Déplacer le débat du politique au pénal

 

La volonté de contrôler et réprimer le champ scientifique est l’autre point commun que les occidentalistes partagent avec le trumpisme. Déjà en 2021, la ministre de l’Enseignement supérieur avait ainsi annoncé sa volonté de diligenter une enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université. Cette pression exercée sur la recherche et l’enseignement supérieur s’est accentuée avec le 7 Octobre. En janvier 2025, Yaani diffusait un projet spécial documentant dix-sept mois d’offensive contre les libertés académiques en France. Loin de s’apaiser, la situation se dégrade avec, entre autres exemples, l’annonce récente par le très droitier Laurent Wauquiez de la suspension des subventions à l’université Lyon 2 par la région Auvergne-Rhône-Alpes. Le député Les Républicains a notamment accusé l’institution de « dérive islamo-gauchiste ».

 

Le 7 mai, l’Assemblée nationale approuvait un texte pour « lutter contre l’antisémitisme dans l’enseignement supérieur ». Par rapport à la première version votée au Sénat, le projet de loi a connu différents ajouts, notamment un amendement à l’initiative de la députée Caroline Yadan. Celui-ci prévoit d’inclure dans la formation destinée aux référents de chaque établissement dédiés à la lutte contre le racisme, « les formes renouvelées d’antisémitisme telles que définies par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste [IHRA] ». Cette organisation a établi en 2016 une définition entretenant volontairement la confusion entre antisémitisme et critique politique de l’État d’Israël. En 2021, près de 400 universitaires à travers le monde signaient la « Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme » afin de promouvoir une autre définition. De son côté, la rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la promotion du droit à la liberté d’opinion et d’expression, Irene Khan, considérait en mars 2024 cette définition comme contraire à la liberté d’expression.

 

Les censures et pressions que les occidentalistes tentent d’exercer sur les universités témoignent de l’effondrement de leurs prétentions libérales, dès qu’il s’agit de protéger Israël de la critique. Ainsi, en diffamant les étudiants solidaires du peuple palestinien - permettant de justifier les sanctions à leur encontre, tout en plaidant pour inscrire l'antisionisme comme une forme d'antisémitisme -, ils entendent déplacer un débat et une lutte politique vers le terrain pénal, pour interdire une opinion politique et faire taire. Paradoxalement, il serait donc autorisé d'être antisioniste en Israël, mais plus en France.

 

À l’instar du Printemps républicain hier, les occidentalistes ne cherchent pas à rassembler la France, mais à la diviser. Ils souscrivent aux paniques identitaires et morales imposées par l’extrême droite, alimentent la fragilisation de l’idée même de « République », et participent au démantèlement du droit international en refusant de s’y référer lorsque leur allié israélien est incriminé. Par cette stratégie mortifère, ils pavent la voie pour l’accès de l’extrême droite au pouvoir, légitiment l’internationale néo-fasciste, et justifient la loi du plus fort qu’imposent Poutine, Trump ou Netanyahou.

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